(L'Express 10/01/2012)
Dans l'est du Congo, des mineurs réduits à l'état d'esclaves recherchent la cassitérite, présente dans toute l'électronique. Le point de départ d'un passionnant livre-enquête. "C'était à chaque fois des entrées minuscules, des goulots étroits, parfois renforcés avec des rondins et des sacs de sable, des anfractuosités, aménagées à la verticale, entre deux blocs de rochers, tels des accès détournés à des antres mystérieux, des tombeaux profanés, l'oeuvre d'antiques pillards de sépultures thébaines. Des centaines d'hommes écrasés de chaleur, dénudés, recouverts seulement d'un caleçon et de bottes en plastique, sillonnaient cette nécropole minérale. Leurs corps présentaient tous la même teinte livide et spectrale. Luisant de sueur, couverts d'une boue séchée, transformés en statue de plâtre, ils se confondaient avec le sol limoneux, comme si, à force de le pétrir, ils avaient fini par fusionner avec lui."
3 000 "fouilleurs" venus "chercher leur vie"
Ces hommes, ce sont les "esclaves oubliés du monde moderne", comme les désigne le journaliste Christophe Boltanski dans un essai passionnant. La scène se passe sur la colline de Bisie (prononcer "bi-sié"), à 300 kilomètres de Goma, dans l'est de la République démocratique du Congo. Ici, au fin fond de la jungle équatoriale, les "esclaves" cherchent de la cassitérite, le principal minerai de l'étain. Une pierre précieuse. Sans elle, téléphones portables, radios, ordinateurs, téléviseurs ne fonctionneraient pas. Elle est omniprésente : MP3, caméras digitales, décodeurs, hi-fi, scanners, voitures, avions... "Tout ce qui comporte de l'électronique, souligne Boltanski, toute notre modernité en contient une trace."
Un minerai stratégique, donc, que se disputent depuis des années des groupes armés, militaires ou rebelles, dans une région qui ne cesse de s'embraser. Un "minerai de sang" dont tous les grands noms de l'industrie n'ont longtemps voulu se soucier ni de l'origine ni de la façon dont il était extrait.
Bisie et ses chimères. Ils sont près de 3 000 "fouilleurs", accourus de tout le pays, pour "chercher leur vie", "trouver la matière". Des "creuseurs" aux mains nues. Dans ces mines du Nord-Kivu, pas de forages organisés ni de géologues. Pas de marteaux-piqueurs ni d'explosifs pour percer la roche, pas même de casques. Bienvenue au pays des "hiboux", comme on les a surnommés, parce qu'ils "vivent dans le noir et ne dorment jamais".
Du Congo aux usines de Malaisie
Cette Afrique du sous-sol, "l'Afrique d'en bas", est pour Boltanski le point de départ d'un magistral livre-enquête. L'auteur a reconstitué et suivi non sans mal le chemin emprunté par la cassitérite: du Congo aux usines de Malaisie, des marchands de Njingola aux aviateurs de Kilambo, des comptoirs de Goma au port tanzanien de Dar es-Salaam... Un long périple qui l'a aussi conduit à l'Elysée ou au London Stock Exchange. En Malaisie, le minerai laminé, devenu fil de soudure, est exporté vers Anvers et Shanghai avant d'être redistribué dans le monde entier.
L'étain congolais est partout. Mais sans doute plus pour longtemps. La nouvelle législation américaine bannit son usage dans l'ensemble de la filière électronique: elle conduira à l'avenir les grandes marques à ne pas prendre de risques inutiles. "Au lieu de s'engager enfin sur le terrain [...], déplore l'auteur, les industriels tourneront le dos à la région. [...] De nouvelles filières se mettront en place [...]. Le minerai transitera par [d'autres] pays pas trop regardants en matière de respect des droits humains..." Le comble, c'est que le métal finira sans doute par revenir en Afrique, dans les poubelles à ciel ouvert du Ghana cette fois, "pour y être enterré, à peu près comme il avait été extrait, dans la misère et la douleur".
Par Bruno Abescat, publié le 10/01/2012 à 15:53
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