Directeur de l’International Crisis Group (ICG) pour l'Afrique centrale, Thierry Vircoulon analyse le blocage politique actuel et la faiblesse de l'opposition en République démocratique du Congo (RDC). Tout en déplorant l'escalade du pouvoir dans la répression. Interview.
Jeune Afrique : La rentrée du Parlement congolais a eu lieu jeudi 16 février. Selon certaines sources au sein de l’UDPS, après avoir récemment évoqué l'idée de ne pas siéger, certains députés UDPS ont finalement décidé de valider leur mandat et de suivre une stratégie d'opposition républicaine. Pourquoi un tel revirement ? La stratégie de Tshisekedi est-elle mise en cause ?Thierry Vircoulon (en photo ci-contre) : Je ne pense pas qu’une décision ait été arrêtée, les députés de l’UDPS sont toujours en grande discussion. Selon mes informations, une majorité d’entre eux n’était pas présente à l’Assemblée. Le parti est très divisé entre d’un côté ceux qui aimeraient bien siéger et de l’autre, ceux qui autour d'Étienne Thisekedi sont dans une position de boycott total. La stratégie de l’UDPS n’est pas encore bien définie. À ce stade de la vie politique, Tshisekedi ne va quant à lui pas modifier sa stratégie. La question est de savoir si le pouvoir va le laisser rester à Kinshasa.
Quelles conséquences le choix de l’UDPS aura sur l’opposition, notamment sur l’Union pour la Nation Congolais (UNC) de Vital Kamerhe ?
L’UDPS est le premier parti de l’opposition. S’il ne siège pas, les autres partis seront clairement affaiblis au Parlement. Dans le cas contraire, cela peut créer un fond d’opposition significatif (une centaine de député). L’enjeu est donc de savoir si l’opposition sera parlementaire ou extra-parlementaire. Mais, il serait souhaitable qu’il y ait une opposition parlementaire en RDC.
La majorité présidentielle sort-elle renforcée du scrutin ?
Bien qu’un nombre important de sièges soient contestés, la majorité est clairement définie. À côté du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) de Kabila, se trouve le Parti du peuple pour la paix et la démocratie (PPPD), le Mouvement social pour le renouveau (MSR) de Pierre Lumbi et le Parti lumumbiste unifié (Palu). On connaît donc la configuration de la majorité. Elle sera dominante, voire surdominante si l’UDPS ne siège pas. Dominante au Parlement mais fragile dans la rue, comme le montre la répression de la manifestation de jeudi 16 février.
Ce qui s’est passé le 16 février montre qu'il est maintenant impossible pour l’opposition de manifester à Kinshasa.En effet, la manifestation de l’Église catholique, interdite par les autorités de Kinshasa, a été violemment réprimée. Vous attendiez-vous à un tel tour de vis de la part du régime de Kabila?À l’occasion de la compilation des résultats des législatives, la Ceni a modifié ses équipes et fait état d’un nombre d’irrégularités bien supérieur à ce qui avait été constaté pour la présidentielle. Cela donne-t-il une plus grande crédibilité à son travail, ou cela montre-t-il a contrario l'incohérence des résultats entre les deux scrutins ?
Oui, bien sûr. Ce n’est en rien étonnant. Rappellez-vous dans quelle ambiance sécuritaire tendue se sont déroulés la fin de la campagne et le dépouillement des votes. Ce qui est le plus inquiétant, c’est que l’on assiste à un scénario de régression démocratique caractérisé par un climat de répression et une absence d’opposition. Une répression qui touche les manifestants, mais aussi directement l’opposition : deux membres de l’UDPS ont récemment été arrêtés et détenus arbitrairement par les services de sécurité du régime de Kabila.
Ce qui s’est passé le 16 février montre que la capacité de mobilisation de l’opposition est largement dépassée par les ressources des forces de l’ordre. Il est maintenant impossible pour l’opposition de manifester à Kinshasa.
Cela ne lui donne pas une once de crédibilité supplémentaire. L’enjeu des législatives était moins important que celui de la présidentielle. La seule chose que cela montre, c’est que l’opacité du dépouillement des votes de la présidentielle a été la même pour les législatives.
Quel a été le travail des observateurs dépêchés par les États-Unis et l’Union européenne (UE) ?
Nul. Les États-Unis ont bien dépêché des experts électoraux mais ils n’ont pas réussi à trouver un accord avec la Ceni qui a déclaré qu’elle souhaitait que personne ne mette les pieds dans le dépouillement.
La communauté internationale a pris l’option de geler les problèmes au lieu de les régler et est ainsi renvoyée à ses contradictions.
Les États-Unis ont appelé mercredi 15 février à la formation d’un « gouvernement de large union ». Est-ce une option réaliste ?
Non, je ne vois pas comment quelqu’un qui vient d’être élu accepterait de partager le pouvoir. Ce ne sont que des paroles diplomatiques qui révèlent l’embarras de la communauté internationale vis-à-vis d’une élection qu’elle a en partie financé, et dont elle a participé à l’organisation logistique.
La communauté internationale a pris l’option de geler les problèmes au lieu de les régler et est ainsi renvoyée à ses contradictions. Par exemple, lors de l’élection de 2006, la mission électorale de l’Union européenne a rendu un rapport en vue des élections de 2011. Aucune de ces recommandations n’a été mise en œuvre par Kinshasa. Malgré cela, l’UE a quand même financé les scrutins de novembre dernier.
L’ambassadeur américain à Kinshasa, bien que pointant les nombreuses irrégularités constatées, a reconnu Joseph Kabila comme président légitime. Pourquoi les États-Unis se rangent-ils derrière Kabila ?
Les États-Unis sont confrontés aux mêmes contradictions que la communauté internationale. Après avoir appuyé le processus et penché du côté du pouvoir établi, les USA ont reconnu les fraudes constatées par tous lors du vote. Ils sont maintenant gênés. D’où ce double discours.
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Propos recueillis par Vincent Duhem
Jeuneafrique.com
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