(Le Potentiel 20/02/2012)
Entre le gouvernement et l’Occident, c’est le «Je t’aime, moi non plus». Les dernières sorties médiatiques des ambassadeurs de l’Union européenne et de France en disent long sur les écarts de langage existant entre les deux parties. Ces échanges, encore verbaux, pourraient basculer vers un bras de fer, si jamais les divergences persistaient. S’engager dans une zone de turbulences en cette période serait préjudiciable. De part et d’autre !
L’interdiction de la marche du 16 février, suivie de la répression sans ménagement des manifestants par la police n’a pas laissé indifférents les partenaires de la République démocratique du Congo. La Monusco s’est aussitôt dit «préoccupée par les violations des droits de l’Homme» par la bouche de son porte-parole. Manodje Mounoubai a déclaré que «la Monusco est inquiète de constater que les autorités congolaises ne prennent pas les dispositions nécessaires pour garantir les droits de manifestations pacifiques pendant le processus électoral. Le droit de marcher et les libertés d’expression sont reconnus par la Constitution congolaise. Les autorités congolaises sont invitées au respect des libertés publiques, y compris les droits de manifestation et d’expression exercés d’une manière responsable».
De son côté, le tout nouvel ambassadeur de l’Union européenne, chef de la délégation de l’UE en RDC, a rendu public un communiqué de presse dans lequel il a fustigé l’interdiction de la manifestation programmée par des laïcs catholiques soutenus par le clergé de Kinshasa. La délégation de l’Union européenne a pris soin de noter que la déclaration n’était pas faite en solitaire, mais «en accord avec les chefs de missions des Etats membres de l’Union européenne». Ceux-là même qui avaient représenté leurs Etats respectifs lors de la cérémonie de prestation de serment du chef de l’Etat. C’est dire toute l’importance que l’Occident, dans son ensemble, attache à cette déclaration. En fait, il s’était agi d’une interpellation des gouvernants congolais au respect du droit à la manifestation tel que prévu dans la Constitution de la République.
En des termes clairs, les pays de l’Union européenne désapprouvent tout ce qui a entouré la gestion de ce dossier : «La délégation de l’Union européenne en République démocratique du Congo, en accord avec les chefs de missions des Etats membres de l’Union européenne accrédités en RD Congo, a fait ce jour la déclaration suivante : L’Union européenne réaffirme l’importance qu’elle attache au respect des libertés publiques, y compris le droit de manifestation et d’expression exercé d’une manière responsable. L’Union européenne regrette l’interdiction de la marche pacifique qui devait se dérouler le 16 février, et la décision du ministre de la Communication et Médias de couper les signaux de cinq chaînes de télévision et de radio.
L’Union européenne déplore les incidents survenus lors de l’intervention des forces de l’ordre, notamment aux alentours des lieux de culte de Kinshasa. L’Union européenne appelle les autorités de la RD Congo à prendre les dispositions nécessaires afin de garantir les droits et libertés d’expression de tous les citoyens en cette période cruciale pour l’évolution démocratique du pays et de créer les conditions nécessaires à l’instauration d’un débat politique ouvert».
La Monusco, puis l’Union européenne, c’en était trop pour laisser dans l’indifférence le gouvernement congolais qui, par la bouche du ministre de la Communication et Médias, porte-parole du gouvernement, a réagi du tic au tac. Pour Lambert Mende, «Le gouvernement congolais ne tolère pas l’ingérence des pays amis dans les affaires intérieures de la RDC». Pour le ministre de la Communication, l’interdiction d’une manifestation non autorisée par les autorités compétentes, à l’occurrence le gouverneur de la ville de Kinshasa, relève de la mission de maintien de l’ordre public. Conformément à la Convention de Vienne, soutient un conseiller au ministère des Affaires étrangères, «l’attitude de ces diplomates est inacceptable».
Une contre réaction est venue de l’ambassadeur de France en RDC. Luc Hallade est d’avis contraire. «Quand il s'agit de respecter la liberté d'expression, de manifestation de la population congolaise, cela nous paraît important de s'y intéresser. Nous sommes partenaires, et des amis et quand on est des amis et des partenaires, on doit pouvoir se dire, y compris des choses qui quelquefois froissent éventuellement, mais contribuent à ce que le pays avance aussi dans la bonne direction», a-t-il réagi au propos de Mende. Loin de calmer la tension, cette nouvelle sortie médiatique d’un diplomate en poste à Kinshasa démontre l’état d’esprit créé après les élections du 28 novembre 2011.
EVITER D’OUVRIR DES BRECHES
Cette escalade verbale n’arrange pas les choses. Bien au contraire, elle risque d’affecter la coopération bilatérale ou multilatérale. L’expérience du passé aidant, ce genre de «polémique» est un signe annonciateur d’escalades dangereuses.
La RDC ne se passera pas des appuis de la communauté internationale, particulièrement de l’Occident, pour son développement. Et l’Occident n’a aucun intérêt à couper le pont avec les autorités congolaises. Présentement ! Sans risque de se tromper, le peuple congolais ne tirera aucun profit d’un éventuel bras de fer qui s’incrusterait dans les relations rétablies avec l’ensemble de la communauté internationale depuis 2001.
Cette réalité a conduit ces bailleurs de fonds à consentir une large annulation de la dette extérieure congolais, suite à l’atteinte du point d’achèvement de l’Initiative PPTE que d’aucuns avaient qualifié «d’importante faveur accordée à la RDC». Par ailleurs, ces mêmes bailleurs de fonds continuent à mettre la main à la poche pour le financement des projets de développement en divers endroits.
Sur le plan politique, un analyste congolais indiquait «qu’aucun Etat occidental n’a condamné officiellement Tshisekedi, malgré son auto-proclamation». Il poursuit : «Bien que les Occidentaux dénoncent les irrégularités lors des scrutins, ils ne remettent pas, fondamentalement, en cause la victoire de Joseph Kabila». Cette ambigüité occidentale pourrait contenir des agendas cachés que de telle polémique servirait de brèche.
Selon des indiscrétions ayant filtré de la dernière rencontre de Kingakati, Joseph Kabila aurait instruit les siens «à considérer les USA, La France, la Belgique, la Grande-Bretagne, …, comme des pays amis». Le chef de l’Etat aurait même prodigué de sages conseils à ses lieutenants de la MP, sur les attitudes à adopter face aux diplomates de ces pays. S’il s’avère que ces propos auraient été effectivement tenus par Joseph Kabila, cela trancherait avec la réaction du porte-parole du gouvernement.
La meilleure manière de mettre un terme à pareilles escalades verbales serait, pour le gouvernement congolais, de respecter ses propres lois et d’éviter d’adopter des attitudes frisant ce que les évêques avaient qualifié de «gouverner par défi». En tant que gouvernement issu des élections, l’Exécutif dispose d’une panoplie de canaux et moyens lui permettant d’éviter des attaques justifiées de la part des observateurs nationaux et internationaux. La situation actuelle commande une attitude pragmatique.
Ouvrir des fronts tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays exposerait le gouvernement à un débouchage intense d’énergie au détriment de la reconstruction et du développement du pays. Il apparaît de plus en plus évident que des institutions financières internationales comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international multiplient des entraves aux appuis prévus en faveur de la RDC pour l’exercice en cours. Ne serait-il pas suicidaire de se mettre sur le dos tous les autres partenaires, sans s’être assuré d’obtenir des ressources financières nécessaires au financement du développement ailleurs ?
Faudrait-il, par contre, se présenter à genoux, rampant face à ces partenaires ? Autant de questions qui renvoient les dirigeants à la réflexion en profondeur sur des positions à prendre en toutes circonstances. Il faut donc calmer les esprits et entrevoir autrement les relations avec les partenaires, en tenant compte de ce qui pourrait fâcher, les uns et les autres.
Par Le Potentiel
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