Une étrange affaire de trafic d'or entre l'est de la RDC, le Nigeria et les Etats-unis inquiète les Nations unies. Au point que l'ONU y a consacré un rapport édifiant.
Allo Houston? Il y a réellement un problème... Et il est de taille, vu qu'il concerne l'un des hommes les plus connus de la capitale américaine du pétrole, sinon, l'un des plus puissants du business afro-américain: l'homme d'affaires d'origine nigériane
Kase Lukman Lawal, patron de Camac International, et parmi les
missi dominici les plus importants entre l'oligarchie politico-affairiste nigériane et le monde de l’énergie Etats-uniens.
Un rapport accablant de l'ONU
Comme annoncé sur ce site il y a prés d'un an,
l'affaire ayant, explosé à Goma, en février 2011, dans le Nord Kivu, continue à retomber. La saga du
Gulfstream V de Goma, et de l'avortement par la sécurité présidentielle de la
République Démocratique du Congo (RDC) d'un deal d’or illégal portant sur près de 500 kilogrammes, fait désormais l'objet d'une très édifiante étude de cas au sein des 392 pages de l’accablant et perturbant dernier
rapport commis sur la RDC par les experts de l'ONU en charge de ce pays, et particulièrement de la zone grise de ses limes orientales.
Selon ce rapport, l’est du pays serait toujours aussi poreux aux trafics transfrontaliers de toutes sortes qu'à la loi des milices et des rebelles, qui, bien que rentrés en partie dans le rang des Forces armées de la République Congolaise, continuent pour certains à composer de véritables «
bataillons cachés» au sein même des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC).
Cette impressionnante somme de données recueillies sur le terrain, transmis le 2 décembre dernier par les 6 experts de l’ONU au président du conseil de Sécurité, serait sans doute resté dans l'obscurité si le
Houston Chronicle ne s’était aperçu que l'on abordait aussi l’affaire du Gulfstream V de Goma. Désormais, grâce à ce rapport, presque toute la lumière est jetée en effet sur les mésaventures des
«pieds nickelés» de Houston.
Les dessous de l'affaire
Tout commence donc au Texas. Carlos St Mary, aurait été contacté par un ex basketteur de la NBA, le congolais Dikembe Mutombo, 18 saisons, dont une fin de carrière sportive aux
Houston Rockets. Reconverti depuis dans l’humanitaire, le congolais chercherait à rencontrer Kase Lawal dans l’intention de le brancher sur un coup juteux.
Carlos St Mary, ancien cadet de West Point connaît Kase Lawal depuis 31 ans. Lawal aurait donc accepté la rencontre. Elle se déroule le 2 décembre 2010, à
l'Intercontinental Hotel de New York, sur la 48ème, entre Park Avenue et Lexington. Kase Lawal y retrouve St Mary, le basketteur congolais, ainsi que ses trois neveux: Reagan Mutombo, Stephan et David Kapuadi.
Au menu de la rencontre: 475 kilogrammes d'or négociables à Nairobi pour la modique somme de 10 millions de dollars.
Modus Operandi: utiliser le nom de l’ex basketteur pour faire sortir l’or du pays en faisant croire que le trésor fait partie de sa fortune personnelle.
A l’occasion de cette rencontre, comme le prouve l’un des nombreux documents compilés en annexe du rapport de l’ONU, les deux frères Kapuadi ont monté une alléchante présentation
powerpoint. Il y est conclu qu'il s'agit du premier deal «
d'un plan à long terme. Etre le plus discret possible et garder le maximum de confidentialité est hautement prioritaire».
Le plan
A l'issue du meeting, Lawal accepte de financer l'opération. St Mary la supervisera au Kenya. Avec Mutombo, chacun d’entre eux touchera 30% du montant de la revente. Lawal en empochera 40%.
Quand St Mary arrive à Nairobi, le 9 décembre, les Kapuadi lui présentent le propriétaire de l'or, le camerounais Eddy Michel Malonga. Dans une fonderie de Karen, en banlieue de Nairobi, St Mary assiste à la transformation du métal précieux en lingots d’or.
Le 13 décembre, Lawal checke par sms avec St Mary le cours du kilogramme d'or à 90%. Celui-ci est passé de 25.000 dollars à 28.5000. Il veut donc une plus grande part du gâteau, au mécontentement de Mutombo.
Pour le calmer, Lawal accepte de payer 40% du prix d’achat en avance. Et confirme par texto qu'il connait la réelle origine de l'or de Nairobi: RDC. Aux enquêteurs de l’ONU, St Mary expliquera ultérieurement que Lawal ne s’est en revanche jamais interrogé sur les conditions d'extraction de cet or en RDC, ni de la manière dont celui-ci a pu rejoindre Nairobi.
Le 15 décembre, toujours à Nairobi, la bande de St Mary inspecte le chargement de lingots dans un entrepôt de l’aéroport international Jomo Kenyatta appartenant aux douanes kenyanes. L’échantillon fourni l’atteste: l’or est pur à 92,66%. A St Mary, on transmet un certificat de propriété de 475 kilogrammes de barres en or, d'une valeur de 12 825 000 de dollars, au nom de la Camac Nigerian Limited. Reste à exporter l'or en dehors du Kenya.
Le 18 décembre, sous l’identité d'un agent de sécurité de la Camac, Malonga, le propriétaire de l’or, se rend à Abuja, la capitale du pays. Camac Nigeria lui verse 3,9 millions de dollars en cash. Tout semble désormais
clearé. Mais il faut maintenant laisser passer les vacances de fin d’année pour régler les derniers détails administratifs nécessaires à l’exportation.
Premiers accrocs
Le 4 janvier, St Mary, revenu à Nairobi, apprend par les neveux du basketteur que Malonga, le propriétaire, est aux abonnés absents. Par chance, Zoe Kabila, l’un des frères du président Kabila, lui assure au téléphone de la probité de ce dernier. Il réapparait d’ailleurs et promet que tous les documents relatifs à l’exportation de l’or seront prêts le 6 janvier.
Le 5, douche froide. A Nairobi, St Mary apprend auprès du responsable des douanes kenyanes qu’il s’est fait blouser. Son certificat de propriété est faux, tout comme, évidemment, l’identité des agents de la East African Community Custom qui l'ont co-signé. St Mary se lance dans un tour effréné de Nairobi. Dans l’entrepôt de l’aéroport, plus aucun signe de présence de barres d’or. Quant à la fonderie de banlieue, elle a été fermée. Aux Etats Unis, Lawal dit à St Mary de s’accrocher: Malonga va bien finir par réapparaitre.
Le 17 janvier, effectivement, Malonga refait surface. Et de préciser que le premier paiement qu’il a récupéré à Abuja était en fait destiné à un mystérieux «Général». Désormais, la transaction doit se faire à Goma, en RDC.
Le 19 janvier, l'avocat kényan de St Mary, Punit Vudgama, accompagné d'un employé de la Camac, le nigérian Alexander Ehinmola, arrivent dans la capitale du Nord Kivu. Deux colonels des FARDC les attendent à l'aéroport. Sur une base militaire de la ville, on leur extrait d’un coffre-fort 25 casiers métalliques renfermant les lingots d'or. Un nouveau contrat de propriété est établi, cette fois ci certifié par les deux colonels des FARDC.
St Mary informe Kase Lawal du nouveau contexte de la transaction. Lawal accepte de poursuivre l'opération, pensant qu'il sera plus facile d'obtenir à Goma un document
ad hoc pour l'exportation de la cargaison. D'autant qu'il est rassuré par la participation d’officiers des forces congolaises dans son deal, ceux-ci assurant, estime-t-il, une garantie en matière de sécurisation de la transaction. Il s'agit maintenant d'aller la conclure à Goma.
Le 29 janvier, dans ses bureaux de Houston, Kase Lawal acte la mission d’exfiltration des lingots d’or de Goma. Il y enverra St Mary ainsi que son frère, le nigérian Mickey Lawal, vice-président de Camac Nigeria Limited. Contacté à Abuja, ce dernier est chargé de préparer la somme en billets, répartie en deux sacs cabine à roulette, qui serviront à boucler le deal. Mickey embarquera avec les 6,6 millions de dollars en cash dans le jet que la Camac affrètera du Texas pour rallier le Congo. Le 31 janvier, le Gulfstream V pris en leasing décolle de Fort Worth.
Première étape, Atlanta, où St Mary rencontre brièvement Mutombo, l’ancien basketteur congolais, afin d’annoncer à ce dernier qu’il ne pourra plus compter que sur 10% du prix de revente de l’or. Mutombo est en colère. Mais Lawal estime avoir déjà engagé beaucoup d’argent. Le 1er février, le Gulfstream V atterrit sur l'aéroport international de la capitale fédérale du Nigeria.
Deux jours plus tard, il redécolle d’Abuja vers Goma, avec à son bord toute l'équipe de la Camac: Mickey Lawal et ses deux sacs de cash, St Mary, le français Franck Stephane M'bemba, agent chargé de la sécurité de la Camac, et selon les documents récupérés par l'ONU, deux étranges nigérians voyageant avec un passeport diplomatique. Avant de quitter Abuja, l’équipe de la Camac reçoit «
les assurances, la haute considération et l'estime» du conseiller à la sécurité du président Goodluck Jonhattan, l’ambassadeur Layiwola Lasseinde.
Sur Goma, le groupe retrouve Reagan Mutembo, en charge de superviser l'opération pour son oncle resté aux Etats Unis. A l'hotel Ihusi, on leur présente le nouveau propriétaire de l’or: l'ex-chef de guerre
Bosco Ntaganda, figure sanguinaire du CNDP rentré dans le rang des FARDC au titre de général avec prés de 1000 hommes suite à l'opération
Amani Leo de 2009
.
Aux Etats Unis, Lawal, averti par St Mary de ce nouveau changement de programme, marque des signes d’inquiétude. Avant finalement de se dire, qu'après tout, il a enfin affaire à un propriétaire clairement identifié. Connait-il la réputation de Ntaganda? Apparemment pas, selon St Mary.
L'arnaque
C'est dans l’une des propriétés de Ntaganda à Goma, l'hôtel
Kivu Light, que se déroule, le 4 février, ce qui aurait du être la conclusion de la partie de
cash-cash panafricaine. Ntaganda demande à St Mary de sortir un des sacs de billets du Gulfstream V afin de couvrir les frais de paperasserie. L’envoyé de Lawal s'y rend derechef avec une escorte armée fournie par Ntaganda.
Mais sur le tarmac de l'aéroport de Goma, une rixe éclate entre le groupe menée par le colonel Masozera et plusieurs autres services militaires, dont ceux de la sécurité présidentielle. A Kinshasa, on vient d’intimer que le sac de billets soit directement ramenée à la résidence du gouverneur du Nord Kivu. Mais le colonel Masozera refuse d'optempérer, et l'emmène directement auprès de Ntaganda, qui comptera les liasses devant St Mary.
Le 5 février, les 25 casiers de métal sont embarqués dans le jet. La suite, on la connait. L’équipe de la Camac ne redécollera du Congo que le 26 mars, sans or, et qui plus est, sur fond de mic mac de faux billets rendus à la place de la somme qu’ils avaient déboursé…! En revanche, les enquêteurs de l’ONU nous apprennent que Kase Lawal, aura, in fine, perdu plus de 30 millions de dollars à cause de son aveugle cupidité…
A moins que le profit de ce deal, mené quelques mois avant les présidentielles nigérianes, devait profiter à d’autres…
Chronique d'une escroquerie
Comment un homme d'affaires de cette envergure a t-il en tout cas pu se faire berner telle une vulgaire victime du 419 nigérian (escroquerie)? Le protocole de l’arnaque ressemble en effet à s’y méprendre aux entourloupes dans lesquelles les aigrefins nigérians sont passés maître: ferrer le poisson à coups de juteuse rétribution, relâcher, laisser couler, disparaître, réapparaitre à un nouvel endroit, redonner un coup, puis resserrer jusqu'au coup de canne final.
Même les méthodes employées rappellent les techniques utilisées par les réseaux mafieux nigérians: fausses identités, faux billets, et sans doute, sûrement, faux lingots d’or qui attendaient vraisemblablement au bout de l’équipée les pieds nickelés américano-nigerians. A moins que désormais Naija ait trouvé plus fort que lui?
Le rapport de l'ONU nous apprend que Ntaganda et d'autres hommes forts de l'est-congolais sont de fait en relation avec «
un réseau à grande échelle d’escrocs en faux or travaillant dans toute l'Afrique de l'est». Parmi eux, justement le Camerounais Eddy Michel Malonga, le vrai-faux propriétaire de l’or sur Nairobi, ainsi qu’un autre compatriote, Yusuf Omar, recherché par les services de renseignement congolais.
Un homme qui, deux mois avant l'affaire du Gulfstream V de la Camac, avait utilisé la même arnaque pour tenter de gruger, a nouveau à Goma, et une nouvelle fois avec la complicité de Ntaganda, le passager d'un jet
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Black Pearl International. Arrivé au Congo avec deux millions de dollars en cash, il fit capoter le deal après avoir découvert que l'or qu'on lui proposait était en fait de pacotille...
C'est aujourd'hui tout autant aux Etats Unis - de par ses
relations avec les milieux politiques afro-americains, aussi bien républicains que démocrates- qu'au Nigeria - de par ses connections avec Aso Rock (le palais présidentiel) - que l'affaire Kase Lawal devrait continuer à faire du bruit.
Au Congo, en revanche, celle ci n'est malheureusement qu'un simple détail pour les habitants de l’est du pays, à lire le rapport de l’ONU. Malgré certains efforts menés dans le domaine de la traçabilité des minéraux extraits du nord et sud Kivu, la région frontalière des Grands Lacs demeure en effet une zone soumise à la loi du plus fort et du plus offrant. Un vrai scandale...dans lequel Kase Lawal, à l’insu ou non de son plein gré, a voulu prendre part…
Alain Vicky
© SlateAfrique