(Alterinfo 18/01/2013)
Le 17 janvier est un jour particulier en République
Démocratique du Congo. Il y a 52 ans, l’Afrique fondait en larmes. Le Continent
Noir venait de perdre un de ses dignes fils en la personne de Patrice Emery
Lumumba, le héros de la lutte pour l’indépendance du Congo. Le leader du peuple
congolais, resté depuis irremplaçable, venait de périr sous les balles des
agents belges dans la province du Katanga où il avait été déporté avec deux de
ses compagnons de lutte, Maurice Mpolo et Joseph Okito. Leurs corps furent
dissous dans de l'acide, un acharnement qui ajouta l'effroi à une disparition
physique déjà suffisamment dévastatrice.
L’âme d’une nation
Le
Congo ne s’est jamais remis de cet évènement tragique, et chaque fois que le
pays part à la dérive, comme cela est le cas aujourd’hui, les Congolais,
orphelins à jamais, fondent en larmes… « si Lumumba n’avait pas été tué… ». On
ne refait pas l’histoire, mais, en tout cas, l’histoire de ce que le peuple
congolais pouvait revendiquer en termes de dignité s’est arrêté ce mardi 17
janvier 1961. Depuis, il manque désespérément à la nation congolaise un «
homme-rempart » au pied de qui un peuple puisse trouver refuge.
Les
puissances occidentales impliquées dans cet assassinat, n’étaient pas obligées
d’aller aussi loin. Lumumba était un militant pacifique. Elles ne pouvaient pas
non plus ignorer la détresse dans laquelle elles plongeaient tout un peuple. Car
Lumumba n’était pas seulement un leader politique. C’était un pilier, l’âme de
tout un peuple, l’âme du Congo. Le genre de personnage-clé dont dépend, à un
tournant de l’histoire, le sort de toute une nation.
Penser seulement à
ce qui serait advenu à la France si un malheur était arrivé à la personne du
Général de Gaulle durant la difficile période de la résistance et même plus tard
jusqu’à la consolidation des fondements de la Vème République. Il en va autant
de l’Inde avec le Mahatma Gandhi, de l’Afrique du Sud avec Mandela, de
l’Amérique avec les Pères Fondateurs, de la Chine avec Mao,… Parce qu’il y a
dans l’histoire des personnages dont la disparition, à un moment crucial,
condamne la nation à l’errance. C’est le triste sort du peuple congolais qui, «
décapité » dès l’assassinat de Lumumba, continue de lutter pour tenter de
survivre en tant que nation parmi les autres nations. Un vide avait été créé un
jour et il n’a jamais été comblé.
Les acteurs occidentaux, ayant
orchestré l’élimination physique de Patrice Lumumba, ne se préoccupèrent, par la
suite, évidemment, que de leurs intérêts égoïstes (pillage des richesses
minières du Congo) et stratégiques (lutte contre l’avancée du communisme en
Afrique). Ils avaient imposé Mobutu à la tête du Congo, mais le mal était fait.
Seuls Lumumba et ses compagnons de lutte pour l’indépendance savaient sur quels
rails poser le Congo et mener son peuple à la prospérité que les richesses de
son pays lui destinait. Et, justement, c’est en revenant sur l’exercice du
pouvoir par Mobutu qu’on retient mieux les leçons de la lutte de Patrice
Lumumba.
Les leçons héritées de Lumumba
Le parcours et la lutte
de Patrice Lumumba donnent à méditer sur plusieurs leçons dont trois en
particulier : le sacrifice suprême, le sens de la nation et la force de la lutte
pacifique.
La première, et c’est sûrement la plus importante est donc
celle du sacrifice. Peu d’hommes politiques sont disposés à braver les risques
auxquels Lumumba fit face pour obtenir l’indépendance du Congo. Lumumba n’était
pourtant pas obligé puisque, comme fonctionnaire, il faisait partie des
privilégiés du système colonial. Il aurait pu mener sa carrière jusqu’à la
retraite en s’accommodant des avantages qu’une certaine élite « indigène »
tirait des bons rapports avec l’administration coloniale. Il s’est au contraire
persuadé qu’il devait mener son peuple à l’indépendance et a tenu bon jusqu’au
sacrifice suprême. Il aurait aussi pu renoncer à ses convictions en échange de
privilèges matériels ou d’un « pouvoir de simple apparence » comme cela est le
cas dans de trop nombreux pays africains.
C’est d’ailleurs ce qu’a
obtenu Mobutu en acceptant de livrer le Congo aux intérêts des capitalistes
occidentaux. La chute et la mort dans le déshonneur du dictateur zaïrois
permettent de comprendre à quel point la souveraineté d’un peuple compte. Car
Mobutu, ayant été mis au pouvoir par les Occidentaux, il était évident que, le
moment venu, ces derniers entreprendraient de le destituer.
Une leçon
que devraient méditer les autres dictateurs africains, en particulier ceux du
Rwanda et de l’Ouganda engagés dans des violences inouïes contre le peuple
congolais dans le seul but de satisfaire les intérêts de leurs « maitres »
occidentaux. Un jour viendra la déchéance et, à leur tour, ils seront « jetés »
comme des malpropres. La dépouille de Mobutu, qui a pourtant tant donné aux
Occidentaux, traîne toujours dans un cimetière quelque part au Maroc où il est
décédé abandonné de tous, méditant sûrement sur l’ingratitude de tous ceux qui
avaient profité de son règne, alors qu’il réduisait son propre peuple à la
misère. Il en aurait été autrement s’il avait obtenu son pouvoir des mains de
son peuple et s’était consacré à son développement. Ça s’appelle la
souveraineté, une cause pour laquelle Lumumba consentit au sacrifice suprême.
La deuxième leçon à retenir de Lumumba est que l’engagement politique
n’a de sens que si le dirigeant sert effectivement les intérêts de la nation
dans son ensemble. Il voyait le Congo comme un ensemble alors que certains
dirigeants congolais ne pensaient qu’à leurs régions ou leurs groupes ethniques.
Il a été assassiné au Katanga, une région dont certains leaders,
instrumentalisés par les anciennes puissances coloniales, tentaient de faire
sécession.
Le sens de la nation qui habitait Patrice Lumumba l’était
aussi en matière économique et sociale. La haine que les puissances coloniales
lui vouaient s’expliquait par la ferme détermination du leader congolais à faire
bénéficier les richesses du Congo aux Congolais. Une démarche qui, évidemment,
se serait traduite par une diminution des marges réalisées sur l’exploitation «
prédatrice » des richesses du Congo.
Lumumba n’avait pas le choix. La
prospérité qu’il avait promise au peuple congolais, et qui résonne dans l’hymne
national (nous bâtirons un pays plus beau qu’avant), ne pouvait se réaliser qu’à
condition que le peuple congolais assure lui-même l’exploitation de ses
richesses et décide souverainement de ses orientations en matière de
développement. Se contenter des miettes et « gouverner » sous la dictée des
puissances étrangères, comme cela arrange de nombreux dirigeants africains,
revenaient à priver le peuple congolais des moyens dont il avait besoin pour
s’assumer en tant que nation. L’histoire ne lui a pas donné tort. Les
dirigeants-qui-attendent-tout-des-pays-occidentaux sont devenus le talon
d’Achille du Continent Noir.
La troisième leçon à retenir de Lumumba est
la noblesse de la lutte pacifique. Il a démontré, comme quelques rares figures
de l’histoire, qu’il est possible de libérer un peuple sans recourir à la
violence et aux armes. Patrice Lumumba a libéré le peuple congolais sans tuer un
seul colon belge. Bien entendu, des troubles éclataient çà et là avant et après
l’accession du Congo à l’indépendance. Mais Lumumba n’a jamais été à la tête
d’une organisation de type militaire. Il a mené une lutte intellectuelle et
politique jusqu’à l’accession de son peuple à la dignité, même si celle-ci fut
de courte durée.
Boniface MUSAVULI
Vendredi 18 Janvier
2013
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Alterinfo
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