(Afrikarabia
11/01/2013)
Critiquée pour son inefficacité , accusée des pires
exactions sur les populations civiles, l'armée congolaise doit se réformer. Dans
un ouvrage retraçant l'histoire des armées en République démocratique du Congo,
Jean-Jacques Wondo pointe les nombreux dysfonctionnements des forces de sécurité
: manque de leadership politique, soldes insuffisantes, carence de formation,
intégration ratée des rebelles, règne des milices… Jean-Jacques Wondo analyse
pour Afrikarabia l'échec du secteur de la sécurité et ébauche des solutions.
- Afrikarabia : Quelle a été l'évolution des différentes armées
congolaises depuis son indépendance en 1960 ?
- Jean-Jacques Wondo :
Depuis le départ, ce pays n'a jamais disposé d'une armée comme nous l'entendons,
c'est à dire d'une armée censée défendre le territoire national. Cet ouvrage
propose une analyse synoptique qui montre que, dès la Force publique, jusqu'aux
FARDC, cette armée a toujours été rongée par cette maladie que je qualifie
d'intraversion (1), de perversion et de subversion.
- Afrikarabia :
Aujourd'hui, l'armée congolaise est critiquée de toutes parts. Quels sont ses
principaux travers ?
- Jean-Jacques Wondo : Une armée est avant une
question politique. Donc le mal est d'abord politique. Il y a clairement un
manque de volonté politique par que cette armée soit républicaine et nationale.
De ce fait, on laisse les milices remplacer l'armée et faire n'importe quoi.
Cette armée est une armée de milices. Elle n'obéit pas au principe de défense
territoriale, mais aux intérêt de leurs chefs.
- Afrikarabia : En
comparant l'armée congolaise de la période Mobutu à celle actuelle de Joseph
Kabila, on s'aperçoit que l'on est passé d'un régime autoritaire fort à un
régime autoritaire faible, avec des rébellions plus fortes que l'armée
régulière.
- Jean-Jacques Wondo : Du temps de Mobutu, nous avions un
pouvoir autoritaire sous une dictature et aujourd'hui, nous avons ce que je
qualifie dans mon livre de "dictocratie". A la différence de Mobutu, nous avons
actuellement en RDC un leadership faible. Il n'y a pas de leadership capable de
mettre en place une réelle armée. Si vous comparez deux périodes : 1961-64 et la
période 1998-2003. A quelques variantes près nous avons dans ces deux époques un
Congo morcelé. Mais à l'époque, en 64-65, il y avait un leadership fort de
Mobutu pour mettre fin au désordre.
- Afrikarabia : L'une des raisons
avancées pour expliquer la faiblesse l'armée congolaise est d'ordre financière.
Les soldes des soldats sont extrêmement modiques : 82$ pour un général quatre
étoiles et 60$ pour un soldat de seconde classe.
- Jean-Jacques Wondo :
Dans mon livre, je compare l'évolution des soldes de 2006 à 2010, complétée par
des informations de 2012, où le salaire moyen d'un soldat des FARDC est passée
de 10$ à 60$. Il y a donc eu une faible augmentation. Mais avec 60$, on est
incapable de motiver une armée. J'ai été en contact avec un jeune officier
l'année passée. Il a été témoin d'une mission assignée à un bataillon à l'Est du
pays, comprenant environ 1.000 personnes. Ils ont reçu pour ces 1.000 personnes
la somme de… 6.000$ ! Avec femmes et enfants ! Ces problèmes ne datent pas
d'aujourd'hui, dès 1895, on a connu la première mutinerie au sein de la Force
publique à Luluabourg. Mais c'est aussi la conception de l'armée qui est mal
assimilée par nos politiciens, où l'on conçoit l'armée comme un danger pour le
pouvoir politique. C'est aussi pour cette raison que l'armée régulière est
"laissée pour compte" par les régimes.
- Afrikarabia : On parle aussi
d'une autre problématique : celle du "brassage", c'est à dire de l'intégration
de rebelles dans l'armée régulière après la signature d'accords de
paix.
- Jean-Jacques Wondo : Le "brassage" est une des pistes de
solution, mais pas la solution miracle. Le "brassage" a réussi en Sierra Leone.
Au Libéria, il a plus ou moins bien marché. Chez nous en RDC, le "brassage" a
été un échec. Le rapport de l'Union européenne, qui supervisait le "brassage",
affirme qu'il y a eu des "ratés"… mais on ne peut pas accuser tout le monde. Le
"brassage" a souffert au départ d'un défaut de conceptualisation. Au moment des
derniers accords de paix (en 2009, ndlr), il fallait satisfaire tout le monde,
rebelles et gouvernement. A un moment, le gouvernement est sorti de la logique
du "brassage" pour passer à la "logique de régiments". Le CNDP (les rebelles de
l'époque, ndlr) n'a pas voulu être mélangé avec les autres unités.
-
Afrikarabia : Quelles sont les pistes à explorer pour reconstruire cette armée
congolaise ?
- Jean-Jacques Wondo : La première piste est d'abord
politique. L'armée, comme le dit von Clausewitz, "ce n'est que la continuation
de la politique par d'autres moyens". Cela signifie que la puissance d'une armée
est une option politique que l'Etat doit décider. Deuxième piste : la formation.
Depuis 2001, cela fait environ plus de 10 ans que le Congo n'a pas formé
d'officiers sur son territoire ! Il y a eu quelques tentatives pour former des
officiers à l'étranger, mais cela n'a pas vraiment marché. On peut déjà, entre
des cycles de formation de 18 mois à 6 ans, commencer à former la base d'une
armée efficace sur une période de 10 ans… il y a là aussi un problème de volonté
politique et pourquoi pas "d'agendas cachés". Qu'est-ce qui nous empêche de
créer des centres d'entraînement et de formation pour nos militaires dans la
région du Bandundu par exemple, pendant qu'on tente de pacifier et sécuriser
l'est du pays ? On parle beaucoup de la responsabilité de la communauté
internationale, mais je veux dire aux Congolais que nous devons apprendre à
assumer nos propres responsabilités. Il est tant que les Congolais développent
ce que j'appelle la "résilience politique". Ce n'est pas le déploiement d'une
force neutre à l'Est ou la construction d'un mur entre la RDC et le Rwanda qui
vont faire que le Congo ait une Armée forte!
Propos recueillis par
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
"Les armées du Congo-Kinshasa,
radioscopie de la Force publique aux FARDC" de Jean-Jacques Wondo aux éditions
Monde nouveau / Afrique nouvelle
(1) Intraversion : "qui vit centré sur
lui-même, se détourne du monde extérieur"
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Afrikarabia
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