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lundi 14 novembre 2011

RDC-Elections : Peut-on croire les sondages ?

A moins de 15 jours de l’élection présidentielle en République démocratique du Congo (RDC), de nombreux sondages circulent dans la presse congolaise et sur internet. Le dernier en date donne le président Joseph Kabila gagnant avec 32,8%. Ces sondages sont-ils fiables ? Sont-ils influents ? Eléments de réponse avec Marie-Soleil Frère, chercheur et professeur de journalisme à Bruxelles et Frédéric Panda, directeur général de l’Institut « Les Points » à Kinshasa.
Le 31 octobre 2011, l’agence de presse internationale Belga relaie les résultats d’un sondage pour le journal kinois « La Prospérité ». Ce sondage, réalisé par l’institut « Les Points », donne le président Kabila vainqueur avec 32,8% des intentions de vote, suivi par Vital Kamerhe (22,9%) et Etienne Tshisekedi (20,5%). L’agence de presse belge prend tout de même la peine d’avertir le lecteur à la fin de sa dépêche : « les sondages sont rares en RDC et leur précision laisse souvent à désirer« . Quelques jours plus tard, sur internet, deux « instituts » donnent des résultats très différents : le Centre d’Etude Euro-Africain (CEEA) annonce la victoire de Vital Kamerhe avec 50,7%, tout comme l’Observatoire des Elections pour toute l’Afrique (OETA) avec 42,76%, loin devant Joseph Kabila. Le 5 novembre, un autre institut « Sondages/Bes » crédite le président Kabila de 52,2%. Qui croire ?
Si « Les Points » ou « Sondages/Bes » sont des instituts connus à Kinshasa, ayant pignon sur rue et travaillant pour de nombreux médias, les deux autres sont de parfaits inconnus : pas un seul référencement sur internet et aucune possibilité de les contacter. Les résultats donnant Vital Kamerhe gagnant (ce qui paraît peu probable au vue des rapports de force politique en RDC, ndlr) ressemblent plutôt à une de ces nombreuses opérations d’intoxication sur internet… une de plus.
Pour y voir plus clair, nous avons demandé à Marie-Soleil Frère, universitaire et auteur d’un ouvrage sur « Médias et conflits » en Afrique centrale (1). Pour ce professeur de journalisme à Bruxelles, il paraît difficile de faire confiance aux sondages congolais. « D’une manière générale, les sondages ne sont pas fiables en RDC », affirme Marie Soleil Frère. « La plupart des instituts sont très proches de certaines personnalités politiques. L’institut de sondages « Berci » est proche du ministre du plan, Olivier Kamitatu et l’institut « Les Points » est lié au député Tryphon Kin Kiey Mulumba, proche du président Joseph Kabila. Ensuite, le problème de ces sondages, c’est qu’ils font les gros titres de la presse congolaises sans que l’on sache la méthodologie utilisée. On ne sais jamais sur quel échantillon ce sondage a été réalisé ? à quelle période ? dans quelle région ?… Comment peut-on réaliser un sondage dans un pays où il n’y a pas de recensement valide de la population ? Comment peut-on constituer un échantillon pertinent ?« , souligne cette spécialiste des médias en Afrique centrale.
Le directeur général de l’institut « Les Points », Frédéric Panda, reconnaît qu’il n’y a pas de données fiables sur la population congolaise. Mais cela n’empêche pas de faire des sondages, notamment sur les intentions de vote. Frédéric Panda affirme que le sondage « Les Points » donnant Kabila à 32,8% a été réalisé « sur un échantillon de 1.000 personnes dans tous les chefs-lieux de province, à travers la méthode des quotas (âge, sexe, tendance politique et tribu d’origine) ». Le directeur de l’institut indique que ses enquêteurs se sont basés sur les Congolais « possédant une carte d’électeur, en fonction du poids électoral de chaque province correspondant aux chiffres de la Commission électorale (CENI)« . Quant à la proximité des instituts de sondages avec les politiques, Frédéric Panda balaie la critique : « nous n’avons pas d’amis, que se soit dans la majorité ou dans l’opposition. La preuve, j’ai reçu des menaces des deux bords.«
Ces sondages influencent-ils les électeurs ? Pour Marie-Soleil Frère : impossible. « Je pense que cela n’a aucun impact sur les intentions de vote. Il faut d’ailleurs voir comment les Congolais s’informent. Les sondages dont vous parlez vont être repris par quelques journaux de Kinshasa qui tirent à 2.000 exemplaires et qui ne sont pas diffusés en dehors de la capitale… dans un pays de 80 millions d’habitants. La plupart des Congolais n’ont donc aucun contact avec les résultats de ces sondages. Et de toute façon personne n’y croit » affirme l’universitaire.
Ce que souligne également Marie-Soleil Frère, se sont les problèmes déontologiques qui entourent les médias congolais dans leur ensemble. Dans son ouvrage (1), cette spécialiste dénonce un « journalisme rétribué » (ce que les Congolais appellent le « coupage« ). Un journaliste gagne entre 30 et 80$ par mois. Il devient donc très facile pour les politiques de payer pour « orienter » l’article. Dans le domaine des sondages, on retrouve ce genre de pratiques. « Dans les sondages médias de mesure d’audience, on sait que les patrons de journaux, de radios ou de télévisions essaient tous de « s’arranger » avec l’institut pour que son média « monte » dans le sondage. Ce sont des pratiques très courantes que l’on m’a rapporté. D’ailleurs RFI ne confie jamais son sondage d’audience annuel à des instituts locaux« , note Marie-Soleil Frère.
Frédéric Panda se défend : « nous sommes fiables. La preuve en 2006, une semaine avant le second tour, nous avions donné Kabila à 57% et Bemba à 40% d’intentions de vote. Nous étions à 1 ou 2% du score définitif ! » (Kabila réalisera 58,05% et Bemba 41,95%, ndlr)
Pour sa part, Marie-Soleil Frère estime que ces sondages sont trop marqués politiquement pour être crédibles. Elle en veut pour preuve l’attitude de grands médias nationaux comme Radio Okapi, financée par l’ONU, qui est diffusée sur tout l’ensemble du territoire. Cette radio n’a jamais repris un seul de ces sondages.

Christophe RIGAUD
Photo : Marie-Soleil Frère à Paris en octobre 2011 © Ch. Rigaud
(1) Marie-Soleil Frère est l’auteur de « Afrique centrale. Médias et conflits. Vecteurs de guerre ou acteurs de paix ». Ed. Complexe-Grip-Panos, Bruxelles, 2005, 320 pages, 19,90 euros.
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