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jeudi 17 novembre 2011

L’Armée de résistance du Seigneur : echec et mat ?

 (ICG 17/11/2011)
Rapport Afrique N°182. SYNTHESE ET RECOMMANDATIONS.
L’Armée de résistance du Seigneur (LRA) est toujours une menace mortelle pour les populations civiles dans trois Etats d’Afrique centrale. Après la rupture en 2008 du cessez-le-feu et des négociations pour le règlement pacifique de cette insurrection vieille d’une génération, l’armée ougandaise a lancé un premier assaut qui s’est soldé par un échec. Depuis trois ans, des opérations en demi-teinte ont échoué à empêcher ce groupe armé, numériquement insignifiant mais atrocement efficace, de tuer plus de 2 400 civils, d’enlever plus de 3 400 individus et de contraindre environ 440 000 personnes à la fuite.

En 2010, le président ougandais Yoweri Museveni a retiré environ la moitié de ses forces mobilisées afin de poursuivre des objectifs politiquement plus rentables. La méfiance congolaise entrave les opérations en cours, tandis qu’une initiative de l’Union africaine (UA) avance au ralenti. Pour vaincre la LRA, une action militaire vigoureuse et une diplomatie volontariste sont nécessaires. L’Ouganda doit tirer parti du nouvel, et peut-être bref, engagement américain en reprenant l’offensive militaire ; Washington doit inciter les dirigeants des pays de la région à coopérer et surtout, l’UA doit assumer ses responsabilités de garante de la sécurité continentale. Dès qu’elle le fera, l’Ouganda et les Etats-Unis devront placer leurs efforts dans le cadre de son initiative.
La tentative de l’armée ougandaise en décembre 2008 d’écraser la LRA en détruisant ses camps dans le Nord-est de la République démocratique du Congo (RDC) a très mal tourné. Son dirigeant, Joseph Kony, s’est échappé et a organisé des représailles pendant les mois suivants qui ont fait des centaines de morts parmi les civils. L’opération Lightning Thunder, soutenue par les Etats-Unis, est devenue une campagne d’usure, l’armée ougandaise pourchassant de petits groupes de combattants dispersés et très mobiles dans la dense forêt. Cette offensive l’a menée au Sud-Soudan et en République centrafricaine (RCA) et elle a enregistré quelques succès. Mais l’opération s'est essoufflée au milieu de l’année 2010, permettant à la LRA de continuer à piller des villages, à enlever des centaines de personnes et à enrôler de nouvelles recrues dans la zone des trois frontières. Comme le Conseil de sécurité des Nations unies l’a déclaré le 14 novembre, cette situation doit impérativement cesser.
Les raisons de l’échec de l’opération militaire sont politiques. Museveni a revu à la baisse l’opération originale pour poursuivre d’autres objectifs censés accroitre son capital politique national et international. Depuis que la LRA ne constitue plus une menace pour l’Ouganda, la pression des membres de l’opposition ou des dirigeants de communautés pour exiger sa neutralisation a cessé. Les efforts des forces pourchassant les combattants de la LRA en RDC ont été entravés par le refus de l’armée congolaise de coopérer et d’accorder l’accès aux zones affectées par la guérilla. L’Ouganda a envahi la RDC à la fin des années 1990, pillé ses ressources naturelles et suscité la méfiance durable du président Joseph Kabila.
Alors que les élections prévues fin 2011 se rapprochent, l’armée congolaise a demandé le retrait des militaires ougandais et, en attendant la décision officielle, leur a interdit de quitter leur campement. La plupart des commandants supérieurs et combattants de la LRA sont en RCA mais pourraient à tout moment revenir en RDC et trouver un refuge sûr du fait de la liberté de mouvement réduite de l’armée ougandaise. Le président de la RCA, François Bozizé ne fait pas confiance à cette dernière, jalouse son soutien américain et lui a ordonné de se retirer des zones diamantifères. Il pourrait entraver davantage l’opération en cours s’il estime que son armée ne reçoit pas suffisamment de contreparties pour sa collaboration.
Il n’y a pas de perspective réaliste d’une fin négociée du problème de la LRA, étant donné l’échec des négociations de Juba et de l’absence d’intérêt de Museveni et de Kony à relancer le dialogue après plus de trois années de combats. Au lieu de cela, l’UA sous la pression de certains Etats membres et des Etats-Unis, a annoncé fin 2010 qu’elle avait l’intention d’autoriser une mission énergique contre la LRA et de coordonner les efforts régionaux. Toutefois, elle s’est heurtée à l’incapacité de concilier les différences avec et entre les principaux Etats membres et les donateurs.
L’Ouganda et les trois pays directement concernés espéraient que cette initiative entrainerait un financement occidental supplémentaire pour leurs armées, mais sont peu intéressés par une supervision politique de l’UA ou des programmes civils. Les Etats-Unis souhaitent que l’Union européenne (UE), principal donateur de l’UA, partage son fardeau. Cependant, l’UE préfère que l’UA endosse un rôle politique et n’est pas disposée à financer les armées africaines engagées. L’Ouganda est réticente à concéder une part de sa liberté militaire et politique à l’UA.
Frustrés par le manque d’efficacité de l’opération Lightning Thunder, les Etats-Unis ont annoncé le 14 octobre 2011 le déploiement d’une centaine de militaires pour assister l’armée ougandaise -- la majorité à Kampala, le reste pour conseiller sur le terrain. Cette action participe d’une intensification de leur engagement politique et militaire contre la LRA. Ils ont également proposé de former plus de combattants congolais et ont fourni de l’équipement à l’armée centrafricaine afin d’obtenir un assentiment politique pour cette nouvelle opération. Les quelques conseillers sur le terrain devraient accroitre les performances de l’armée ougandaise. Toutefois, à un an des élections, l’administration Obama reste prudente quand il s’agit de déclencher une autre intervention militaire à l’étranger. Ce déploiement, cela a été clairement dit, sera de court terme.
L’armée ougandaise, même avec l’aide de conseillers américains, est un instrument imparfait pour vaincre la LRA. Les gouvernements comme les populations de la région s’en méfient en raison de ses abus passés et de son incapacité à protéger les civils. La présence militaire de Kampala hors de ses frontières alors que la LRA ne menace plus directement ses intérêts fait planer le doute sur sa volonté de vraiment achever le travail. Pourtant, l’armée ougandaise est indispensable car personne d’autre n’est prêt à envoyer des troupes de combat compétentes pour faire le travail. Le soutien américain, à la fois militaire et politique, est important mais sans doute temporaire. Les financements de l’UA et les programmes civils sont utiles mais ne peuvent à eux seuls arrêter la violence de la LRA.
L’Ouganda, avec les conseils et le soutien des Etats-Unis, devrait sans perdre de temps lancer une nouvelle attaque contre la LRA, si possible alors que la plupart de ses commandants et combattants sont encore en Centrafrique et avant qu’ils ne retournent en RDC, dans un environnement opérationnel plus restrictif pour l’armée ougandaise. Dans le cadre de leur mission de conseil, les Etats-Unis doivent veiller à ce que cette dernière fasse de la protection des civils et de l’accès humanitaire ses priorités et accepte d’être tenue responsable pour ses actions.
Dans le même temps, si ce nouvel activisme est payant sur le terrain, l’UA doit accélérer la mise en œuvre de son initiative. L’ajouter à l’équation est essentiel pour obtenir l’engagement politique des pays concernés en conférant une légitimité continentale à cette lutte. Les éléments centraux de l’initiative de l’UA doivent être la nomination d’un envoyé spécial pour faciliter les relations entre Kinshasa et Kampala et l’autorisation d’une mission multinationale et multidimensionnelle – ce que l’UA appelle la Force d’intervention régionale (FIR). Elle impliquera seulement les troupes des pays actuellement engagés contre la LRA, principalement les Ougandais, mais elle devrait reposer sur un cadre opérationnel et légal unique pour l’armée ougandaise et celles des autres pays et créer des structures militaires de coordination. Une fois que la FIR sera en place, tous les efforts anti-LRA devraient être placés officiellement sous son égide.
Les planificateurs de l’UA doivent travailler étroitement avec les Etats-Unis pour s’assurer que, dès le début, l’initiative de l’UA privilégie les mêmes principes que ceux que Washington doit promouvoir auprès de l’armée ougandaise. Les bailleurs de fonds, notamment l’UE, doivent financer le volet complémentaire civil, en particulier le programme de défection pour les combattants de la LRA. Seule une telle approche multidimensionnelle est susceptible d’apporter la paix dans la région des trois frontières et de commencer à soigner les blessures physiques et sociales que le long cauchemar de la LRA a infligées aux populations.
RECOMMANDATIONS
Pour susciter et maintenir la volonté politique
À l’Union africaine :
1. Nommer d’urgence un envoyé spécial avec un mandat suffisant pour coordonner les efforts africains et internationaux contre la LRA, notamment pour convaincre :
a) le président Museveni d’engager davantage de troupes et d’équipements dans l’opération militaire en accroissant les efforts de protection des civils et la responsabilité des forces ougandaises engagées ;
b) les présidents Kabila (RDC), Bozizé (RCA) et Kiir (Sud-Soudan) d’autoriser l’accès de l’armée ougandaise à toutes les zones d’activité de la LRA pour une période de six mois, décision qui sera revue après cinq mois, et d’ordonner à leurs armées de protéger les civils ;
2. Mettre en place de façon urgente le bureau de l’envoyé spécial avec le personnel, le matériel et les ressources suffisantes pour fonctionner pendant au moins un an.Au gouvernement ougandais :
3. Démontrer un engagement total dans la lutte contre la LRA en acceptant l’initiative multidimensionnelle de l’UA, notamment la nomination d’un envoyé spécial doté d’un mandat fort ; en engageant plus de troupes et d’équipements dans l’opération militaire tout en rendant l’armée plus responsable et en accroissant les efforts de protection des civils.
Aux gouvernements du Congo, de la RCA et du Sud-Soudan :
4. Démontrer un engagement total dans la lutte contre la LRA en acceptant l’initiative multidimensionnelle de l’UA, notamment la nomination d’un envoyé spécial doté d’un mandat fort ; en autorisant l’accès de l’armée ougandaise dans toutes les zones touchées par la LRA et en s’assurant que les forces armées nationales accroissent leurs efforts de protection des civils.
Au gouvernement des Etats-Unis :
5. Soutenir pleinement le lancement de l’initiative multidimensionnelle de l’UA, notamment à travers la nomination d’un envoyé spécial doté d’un mandat fort.
6. Faire pression sur l’Ouganda, la RDC, la RCA et le Sud-Soudan pour qu’ils s’engagent pleinement dans l’initiative multidimensionnelle de l’UA, notamment en acceptant un envoyé spécial doté d’un mandat fort.
7. Etre prêt, avec d’autres donateurs, à diminuer l’assistance militaire et l’aide au développement si les quatre présidents ne démontrent pas un engagement suffisant.
8. Nommer un envoyé spécial pour la région des Grands Lacs mandaté pour œuvrer avec l’envoyé spécial de l’UA à renforcer l’engagement politique dans la lutte contre la LRA.
À l’Union européenne :
9. Aider financièrement l’UA à mettre en place le bureau de l’envoyé spécial avec des ressources suffisantes pour coordonner la lutte contre la LRA pendant au moins un an et établir la Force d’intervention régionale (FIR).
Pour lancer une offensive militaire urgente en protégeant les civils
Aux gouvernements de l’Ouganda et des Etats-Unis :
10. Intensifier rapidement les opérations militaires contre la LRA en privilégiant :
a) une protection accrue des civils ;
b) un renforcement des relations civilo-militaires, incluant notamment des échanges entre les autorités étatiques et les dirigeants locaux tels que les chefs religieux et coutumiers et, en Centrafrique et au Sud-Soudan, une collaboration active avec les groupes d’autodéfense ;
c) une meilleure gestion et coordination de l’information, notamment en mettant en place des centres d’opération et de renseignements communs entre les armées nationales en RCA et au Sud-Soudan ; et
d) des mesures de responsabilisation strictes, notamment un code de conduite, des règles d’engagement et des enquêtes sur les violations présumées des droits humains et l’exploitation illégale des ressources naturelles.
À l’Union africaine :
11. Finaliser le cadre opérationnel et juridique de l’approche multidimensionnelle de la Force d’intervention régionale (FIR) comprenant les priorités définies dans la recommandation 10 ci-dessus ainsi que les procédures standardisées déjà utilisées par l’armée ougandaise pour le transfert rapide des femmes et des enfants rescapés de la LRA aux organismes de protection internationale.
Pour intensifier le volet civil complémentaire
À la Mission de stabilisation des Nations unies au Congo (MONUSCO), la Mission de l’ONU au Sud-Soudan (UNMISS) et au Bureau de consolidation de l’ONU en RCA (BINUCA) :
12. Coordonner un vaste programme régional de désarmement, démobilisation, rapatriement, réinstallation et réintégration (DDRRR), notamment :
a) élargir la campagne de communication visant à persuader les combattants de la LRA de se rendre afin qu’elle couvre l’ensemble de la région des trois frontières et la poursuivre jusqu’à ce que tous les groupes résiduels de la LRA ne constituent plus une menace pour les populations civiles ; et
b) coordonner les efforts des ONG internationales et nationales ainsi que les groupes religieux en RDC, en RCA et au Sud-Soudan pour ramener les anciens membres de la LRA chez eux en toute sécurité et les réintégrer dans la vie civile, notamment à travers la création d’emplois et des soins psychosociaux.
Au gouvernement des Etats-Unis, à l’Union européenne, aux Nations unies et aux autres donateurs :
13. Soutenir le programme de DDRRR régional et la réparation et l’amélioration des communications et des infrastructures de transport dans les régions touchées par la LRA.
Pour planifier à l’avance
À l’Union africaine et aux partenaires internationaux :
14. Elaborer une stratégie de sortie claire qui prévoit que la FIR dure un an, avec la possibilité au bout de huit mois d’examiner si une prolongation de six mois est nécessaire.
15. Prévoir de maintenir et soutenir la FIR et le programme de DDRRR, même après la capture ou la mort de Kony et de ses principaux commandants, jusqu’à ce que les groupes résiduels de la LRA ne constituent plus une menace pour les civils.
16. Demander aux pays participant à la FIR de transférer à la Cour pénale internationale (CPI) les dirigeants de la LRA contre lesquels elle a émis des mandats d’arrêt (Kony, Odhiambo et Ongwen) s’ils sont capturés vivants et remettre les autres commandants non visés par de tels mandats aux autorités de leur pays pour qu’ils soient jugés ou soumis à d’autres mécanismes de responsabilité.

Nairobi/Bruxelles, 17 novembre 2011
http://www.crisisgroup.org/fr/regions/afrique/afrique-centrale/182%20The%20Lords%20Resistance%20Army%20End%20Game.aspx
17 nov. 2011
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