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mardi 22 novembre 2011

A la mémoire de Franco, le colosse du Congo

Il y a bientôt dix-sept ans que la biographe de Graeme Ewens, un journaliste et producteur britannique, consacrée à Franco, sortait des presses tandis que les Congolais de deux rives pleuraient encore à chaudes larmes à l’évocation de son nom. Et pour cause, l’homme a toujours été plus grand que nature, au propre comme au figuré. Tout est placé sous le signe de la démesure quand il s’agit du grand, du magistral, que dis-je, du colossal Franco (1938-1989) et de son tout-puissant orchestre kinois, le OK Jazz. Mais qui était-il ? Quelle oeuvre laissera-t-il pour la postérité ? Voilà les deux questions auxquelles l’ouvrage de Graeme Ewens tente de répondre en slalomant entre deux pôles opposées, entre l’enthousiasme contagieux caractéristique des aficionados et le sérieux que l’on prête ordinairement aux biographes anglo-saxons.
Tout a commencé sous des auspices des plus difficiles. A Sonabata, village du Bas-Congo, le 6 juillet 1938, au petit matin précise la légende, maman Hélène Mbonga Makiesse accouche d’un garçon à la santé très fragile : Luambo Makiadi François. A dix ans, le miraculé de Sonabata est orphelin de père, sans soutien autre que sa pauvre mère échouée à Ngiri-Ngiri, un bidonville de Léopoldville (ex-Kinshasa). Il abandonne l’école en 3ème primaire, s’occupe de ses quatre frères et sœurs, aide sa mère vendeuse de beignets et se jette à corps perdu dans le maelström de la ville. Il s’essaie à l’harmonica, puis découvre la guitare qu’il ne lâchera plus. A Léopoldville, les années cinquante ont vu déferler la musique cubaine. Les jeunes rebelles de Ngiri-Ngiri, de Matongue ou de Bassengue rivalisent d’inventivité. Les rythmes du terroir – gages de la sociabilité – et le mille et un répertoires traditionnels sont brassés avec une stricte économie instrumentale (tam-tam, guitare sèche, accordéon, bouteille…). L’arrivée des phonographes assure une excellente diffusion. Le pays tout en entier est au même diapason grâce au gros émetteur de radio Congo – et des musiciens belges à l’instar de Bill Alexandre et son studio portatif s’installent à Léopoldville pour la grande joie des mélomanes. Des producteurs grecs (qui sont aussi des propriétaires de bars) créent des labels et sortent les premiers vinyles.
En 1953, Joseph Kabasele lance le premier orchestre modeste, l’African Jazz, qui va régner sans partager jusqu’à l’arrivée de l’OK Jazz mené par Franco. Les deux mastodontes domineront la scène congolaise et continentale pendant un demi-siècle. On parlera de ces chefs comme deux puissances tutélaires. Au cours de deux décennies suivantes, Franco est à l’apogée de sa gloire. Il tutoie les cieux et taquine Mobutu quand il veut. Les orchestres se multiplient, l’argent afflue, les titres s’accumulent par monceaux. Et forcément, on jalouse ses succès et l’on brode des histoires loufoques sur son compte. Il serait sorcier, lié par un pacte mortifère à Mobutu et protégé par des influents fétiches. Pire, il appartiendrait à un secte de vampires. Lui n’en a cure, comptant sur sa bonne étoile et son immense talent. Un nouveau mal fit son apparition et étête la fine fleur de la scène nocturne. Franco en est atteint. La nuit du 12 octobre 1989 l’homme aux mille surnoms s’effondre dans un hôpital belge. Le colosse kongo est tombé, reste son œuvre de titan : Franco et son orchestre protéiforme compterait jusqu’à 1000 titres en trente-trois de carrière. Quant à son empreinte, elle est disséminée partout au Congo, en Afrique et ailleurs dans le monde.

(1) Graeme EWENS, ‘Congo Colossus : The Life and Legacy of Franco & OK Jazz’, Buku Press, Norfolk, UK, 1994, 320 pages.
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