24/11/2011 à 18h:29 Par Amélie Mouton
Depuis Mobutu, les musiciens sont devenus les otages consentants des politiciens.© Sapin Makengélé
En RDC, les vedettes de la musique populaire, qui jouissent d'une grande influence auprès des Congolais, font partie intégrante des recettes de la séduction politique. Leur rôle de premier plan dans l'actuelle campagne électorale, entre "griottage" complaisant et allégeance mercantile, s'inscrit dans une longue histoire de cheminement en compagnie du pouvoir.
« Parce que son amour du Congo a fait ses preuves, votez Kabila, votez le raïs », chante sans détour Koffi Olomide à l'approche de la date fatidique des élections présidentielle et législatives en RDC, le 28 novembre. Félix Wazekwa, JB Mpiana, Papa Wemba, Werrason ou encore le vieux Lutumba : la plupart des vedettes de la musique populaire congolaise se sont rangées à ses côtés et ont également composé leurs couplets élogieux en faveur de l'actuel président de la République, qui brigue son second mandat. Ici Werrason chante Kabila
Au Congo, les musiciens font partie intégrante des recettes de la séduction politique. Figures de la réussite sociale, sorties parfois des quartiers pauvres de Kinshasa, ils incarnent la success story dont tout le monde rêve. Les congolais peuvent passer des heures à commenter leurs succès, leurs frasques et leurs petites misères.« Au Congo, le vedettariat musical est devenu une sorte de substitut au leadership politique », analyse André Yoka Lye, directeur de l’Institut National des Arts de Kinshasa. À défaut de guide moral ou charismatique, et en raison des situations de crise aiguë que vit la société congolaise, les citoyens se sont fabriqué des idoles à leur mesure, que l’on pourrait rencontrer au coin de la rue ». Lorsque Werrason est revenu d’une tournée en Europe début 2000, ils étaient des dizaines de milliers à l’attendre à l’aéroport pour l’escorter à travers la ville.
Vente de dédicaces et art du "raccourci"
Des grandes brasseries aux opérateurs de téléphonie mobile, en passant par les hommes d'affaire et les politiciens, tout le monde se dispute les faveurs de ces leaders d'opinion, incontournables pour asseoir sa popularité. Dans ce pays de tradition orale, les chansons sont de formidables caisses de résonance pour véhiculer des messages auprès d’une population majoritairement illettrée. Un phénomène a ainsi pris une ampleur particulière ces dernières années : l’achat de dédicaces ou « mabanga ». Les musiciens sèment à prix d’or les noms de personnalités dans leurs chansons. Des mabanga célèbres vantent les louanges de Vital Kamerehe, « le pacificateur » ou de Moïse Katumbi, « l’intelligence au service de la nation ». Parfois, les dédicaces ne se monnayent pas et l’artiste en use comme d’une stratégie pour s’attirer les bonnes grâces d’un puissant. « C’est ce qu’on appelle le système des raccourcis », explique un journaliste d’une TV locale. « Je vais soutenir un politicien dans ma chanson pour pouvoir bénéficier de certains appuis par la suite ».
Le premier tube panafricain, « Indépendance Cha Cha » (1960)
Otages consentantsSi les chanteurs congolais ont toujours joué un rôle important dans la mémoire des grands événements politiques du pays (on pense à « Indépendance Cha Cha » (voir vidéo ci-dessus) et « Table-ronde » de Kabasele), c'est surtout depuis Mobutu que les musiciens sont devenus les otages consentants des politiciens. « Il va instituer la pratique de l’animation politique, en invitant des groupes folkloriques à se produire lors des meetings, explique Léon Tsambu, chercheur à l'Université de Kinshasa. Il va aussi s’entourer du chanteur Franco, qui deviendra son chantre. Tous les musiciens vont devenir ses griots. »
Au gré des régimes successifs, la tendance ne s'est pas inversée. En guise de mobilisation populaire contre l’occupant rwandais, Laurent Désiré Kabila avait réuni, en 1998, toutes les têtes couronnées de la musique pour un grand concert de l’unité et l’enregistrement d’un disque : « Tokufa po na Congo » (mourons pour le Congo). En avril dernier, Étienne Tshisekedi agrémentait son grand meeting de retour au stade Tata Raphaël de la présence d’une ancienne star du groupe Wenge, tandis qu’un mois plus tard, la femme de l’actuel président, Olive, partait faire une tournée dans la province de l’Équateur accompagnée d’un cortège d’artistes.
Ce « griottage » complaisant provoque la colère de certains Congolais de la diaspora européenne qui accusent les grandes stars d'être complices du pouvoir et d'assoupir les consciences. Mécontents du régime en place, ils ont choisi le boycott des vedettes comme mode d’action politique. Sous la bannière du mouvement Bana Congo, « les combattants de la résistance » ont réussi ces derniers mois à faire annuler ou à perturber plusieurs concerts, en barrant, de manière parfois musclée, leur accès aux fans et en causant d’importantes pertes financières.
Pourtant, les vedettes se défendent souvent de rouler pour le pouvoir. Elles disent se vendre aux plus offrants dans un pays où le système des droits d'auteur est quasi inexistant, et où le pouvoir d'achat très faible et la piraterie interdisent toute illusion de fonctionnement d'une industrie du disque. « Moi je fais du business avant tout, raconte Werrason. Un politicien veut que je le chante ? Il paie. Il veut que je vienne jouer pour lui ? Il paie. Je dois entretenir tout un orchestre, des musiciens, des danseurs. Cela n’a rien à voir avec un quelconque engagement politique. » Papa Wemba, de son côté, fait entendre le même discours : « Je peux chanter pour Kabila comme pour Tshisekedi ».
"L’autre musique"
Dans ce paysage musical gouverné par l'argent et les intérêts, il y a cependant des musiciens qui se démarquent. Assez explicitement, ils sont regroupés dans une catégorie intitulée « l’autre musique ». Jean Goubald en est l'une des figures renommées. Auteur d’une chanson célèbre où il s’est mis dans la peau d’un enfant soldat, il ne dédaigne pas les mabanga, mais ceux-ci sont toujours gratuits.
« Je les utilise pour rendre hommage à des amis ou à des personnes dont j’admire la valeur. » Quand il s’agit de parler de la musique congolaise, Goubald ne mâche pas ses mots : « C’est du porno chanté, qui ne va nulle part et ne sort pas du Congo. Comme dans le corbeau et le renard, les artistes jouent les flatteurs pour avoir de l’argent. » La scène hip-hop est aussi un foyer de liberté musicale. Lexxus Légal est un trentenaire cultivé, qui a une fine analyse de la situation de son pays. La révolte est le leitmotiv de son deuxième album solo, L’art de la guerre. « Je veux que mes chansons arrivent aux oreilles des décideurs, dans leur salon, qu’ils entendent la voix du peuple. Quand on est au pouvoir, on est déconnecté de la rue. »
Jeuneafrique.com
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