(Slate Afrique 20/12/2011)
Souvent secoués par d’interminables querelles, les partis d’opposition africains se présentent presque systématiquement en rangs dispersés aux consultations électorales. Au grand bonheur des pouvoirs en place.
Joseph Kabila a donc remporté l’élection présidentielle du 28 novembre. Selon les résultats complets annoncés le 9 décembre par le président de la CENI, le pasteur Daniel Mulunda, il a totalisé 8.880.944 voix, soit 48,97% des suffrages exprimés. Etienne Tshisekedi, son principal challenger est arrivé deuxième avec 32, 33%. Ce dernier avait annoncé, dès la publication le 6 décembre des résultats partiels qui donnaient une large avance au chef de l’Etat sortant, qu’il ne reconnaîtrait pas cette victoire.
Le double scrutin présidentiel et législatif du 28 novembre, n’était pas un modèle du genre. Organisé de façon chaotique, il a été entaché de soupçons d’irrégularités et de fraudes. Marqué par des affrontements parfois meurtriers entre membres des différents partis et des forces de sécurité. Selon Human rights watch, entre le 26 et le 28 novembre, 18 civils ont été tués, dont 14 à Kinshasa. L’organisation américaine de défense des droits de l’homme met notamment en cause la Garde républicaine.
Et les Congolais de l'étranger, ils en disent quoi?
Hors du pays, à Paris, Londres, Bruxelles et Toronto, des manifestations d’opposants congolais ont dégénéré en violence. Selon l’AFP, Jason Kabuta, âgé d’une vingtaine d’années qui a manifesté le 7 décembre devant la résidence du Premier ministre britannique David Cameron à Londres, s’est exclamé: «nous voulons que Kabila parte». On peut comprendre l’amertume de Jason Kabuta. Mais ne se trompe-t-il pas de cible en s’en prenant à Joseph Kabila? Ne devrait-il pas plutôt déplorer l’attitude des principaux partis d’opposition qui n’ont pas su ou pu présenter un front uni contre le président sortant?
Car pour la plupart des plus fins observateurs de la vie politique du pays, la seule chance pour l’opposition de l’emporter, c’était de faire bloc derrière un candidat unique. «Arithmétiquement, l’opposition a très peu de chance de gagner la prochaine élection présidentielle, si elle se présente en rang dispersé. D’autant que ce scrutin à un tour lui offre peu de marge de manœuvre», avait indiqué dans la presse congolaise, Mwayila Tshiyembe, directeur de l’Institut panafricain de géopolitique de Nancy, originaire de la RDC.
Rien n’y a fait. Onze candidats se sont présentés contre Joseph Kabila. Dont, outre Etienne Tshisekedi, Vital Kamerhe, Kengo wa dondo et Nzanga Mobutu, le fils de l’ancien chef de l’Etat Mobutu Sese Seko.
«Une opposition infantile»
«Une réforme de la constitution a été faite le 13 janvier dernier faisant de l’élection présidentielle, un scrutin à un tour. L’opposition aurait du en tenir compte et se rassembler sans tarder derrière un seul candidat. En se présentant en ordre dispersé, elle a commis une faute tactique et stratégique d’une extrême gravité. Elle s’était déjà fourvoyée en 2006. A l’époque, tout le monde s’attendait à une candidature d’Etienne Tshisekedi. S’il s’était présenté, il aurait mis Kabila en difficulté. Or, il a refusé de le faire. L’opposition de la RDC est infantile, elle est la plus bête du monde», a confié pour sa part à Slate Afrique, Elikia Mbokolo, directeur d’études à l’EHESS (école des hautes études en sciences sociales de Paris), lui aussi natif de la RDC.
Mais se tirer une balle dans le pied, n’est pas l’apanage des opposants de la RDC. Certes, ceux du Bénin ont su l’éviter. En février dernier, lors du scrutin présidentiel, ils ont fait de l’ancien Premier ministre Adrien Houngbédji, leur unique candidat contre Thomas Yayi Boni qui briguait un second mandat. Même si cet éclair de lucidité n’a pas suffit à bouter le président sortant hors du Palais de la Marina (la résidence officielle du chef de l’Etat).
Sinon se crêper le chignon entre opposants est un sport continental. Pas plus tard que le 9 octobre dernier, ceux du Cameroun ont fait étalage d’un talent certain en la matière. Ils étaient 22 à donner la réplique à Paul Biya. Parmi eux, Bernard Muna 71 ans, ancien procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda, Amadou Ndam Njoya, 69 ans et surtout John Fru Ndi, 70 ans, leader du Social Democratic Front (SDF), «opposant historique» et seul challenger de poids. Le scrutin était également à un tour. Un harakiri programmé. Le successeur d’Amadou Ahidjo, 78 ans dont 29 à la tête du Cameroun et pour la nième fois candidat à sa propre succession l’a bien évidemment emporté sans coup férir. La régularité du scrutin a été contestée. Pas seulement par ses challengers. Mais aussi de façon très remarquée par les Etats-Unis. Puis plus mollement par la France. Mais pas sûr qu’une élection propre aurait changé la donne.
«Se crêper le chignon, un sport continental»
L’opposition togolaise ne s’était pas montrée plus inspirée en mars 2010 lors de l’élection présidentielle à un seul tour. Six candidats ont affronté Faure Gnassingbé, le fils du général Gnassingbé Eyadéma, qui a dirigé le pays d’une main de fer pendant 38 ans. L’UFC (Union des forces de changement) et le CAR (Comité d’action pour le renouveau), les deux principaux partis d’opposition se sont entredéchirés après plusieurs mois de compagnonnage. Du coup, le porte drapeau du premier Jean-Pierre Fabre qui a remplacé au pied levé son fondateur et leader charismatique Gilchrist Olympio et le numéro un du second Yaovi Agboyibo, se sont lancés dans la course chacun de son côté. Un pari suicidaire. Surtout dans ce petit d’Afrique de l’ouest connu pour ses élections truquées et ses émeutes postélectorales réprimées dans le sang. Et comme on pouvait s’y attendre il s’est soldé par un échec. Faure Gnassingbé a été déclaré vainqueur, dans la confusion il est vrai.
Scénario quasi identique au Gabon quelques mois plus tard en septembre 2010 et même punition. L’élection présidentielle était également à un seul tour. Les opposants y sont allés en rang dispersés. Ancien tout puissant ministre de l’Intérieur sous feu Omar Bongo Ondimba qui a régné sur le pays pendant 40 ans, André Mba Obame a rompu avec le PDG (parti démocratique du Gabon, créé par Omar Bongo Ondimba). Il aurait pu faire alliance avec feu Pierre Mamboundou, l’«opposant historique» et leader du l’Union du peuple gabonais (UPG). Un tel binôme aurait sans doute compliqué singulièrement la tâche d’Ali Bongo, décidé à succéder à son père. Mba Obame a préféré jouer sa propre partition. Pour le résultat que l’on sait. Pour Elikia Mbokolo, trois raisons principales sont à l’origine de cette incapacité quasi pathologique des oppositions africaines à s’unir: la concurrence entre les différentes classes d’âge, l’inexistence de débats de fonds sur les problèmes fondamentaux comme la crise économique mondiale, la mondialisation elle-même, la place et le rôle de l’Afrique dans ce monde en pleine mutation, l’unité africaine depuis la mort de Mouammar Kadhafi. Mais surtout un appétit féroce du pouvoir:
«Les anciens comme Abdoulaye Wade et Paul Biya ne veulent pas se retirer. Les quinquagénaires qui considèrent que leur tour est venu d’accéder au pouvoir piaffent d’impatience. Les quadragénaires, voire les trentaines poussent également derrière. Kabila a quarante ans. Il y a en Afrique une sorte de vertige du pouvoir politique. Pour s’enrichir bien sûr, car c’est souvent le plus court chemin pour y parvenir. Mais aussi parce que, comme la plupart des régimes sont présidentiels, accéder au sommet de l’Etat vous donne une puissance colossale».
«Accéder au sommet de l’Etat donne une puissance colossale»
La classe politique sénégalaise est reconnue pour sa compétence et son expérience. On pouvait donc la croire à l’abri du phénomène. Erreur. Bennoo Siggil Senegaal, la principale coalition de l’opposition vient de voler en éclats. Grâce à un activisme débridé, un remarquable travail de sape et une formidable capacité de mobilisation des Sénégalais, Bennoo Siggil Senegaal avait commencé à insinuer le doute dans l’esprit du président Abdoulaye Wade. Mais, après des semaines de tergiversations, elle a été incapable de s’entendre sur la désignation d’un candidat unique pour affronter le successeur d’Abdou Diouf lors de l’élection présidentielle prévue en février 2012. Moustapha Niasse, le leader de l’Alliance des forces de progrès (AFP) et Ousmane Tanor Dieng le secrétaire général du parti socialiste (PS) seront tous les deux candidats. Sur les 33 partis qui composent la coalition, 19 ont choisi Niasse. Les 14 restants se sont abstenus. Mais Tanor a refusé de s’effacer.
Au grand bonheur des pouvoirs en place
Pourtant Niasse et Tanor sont deux hommes intelligents et talentueux. Avec une grande expérience politique. Niasse a été le premier Premier ministre d’Abdoulaye Wade en 2000 avant de rompre avec lui. C’est aussi un diplomate de haut rang. Il a été à plusieurs reprises ministre des Affaires étrangères sous le régime d’Abdou Diouf. Tanor fut longtemps le tout puissant directeur de cabinet et sans doute le plus proche conseiller d’Abdou Diouf. Il faut dire que les deux hommes se détestent cordialement. Ils se sont longtemps côtoyés au parti socialiste sénégalais avant que Niasse ne claque la porte en 1999 pour aller fonder son propre mouvement politique. Ravalant sa déception, Amath Dansokho, président d’honneur du PIT (parti de l’indépendance et du travail), membre de la coalition a tenté de sauver ce qui pouvait encore l’être. «L’esprit unitaire reste, ce sont juste les modalités qui ont changé», a-t-il déclaré. Mais les Sénégalais n’y croient plus. Au lendemain de ce fiasco, la presse du pays ne s’y est pas trompée. «Les masques tombent à Bennoo : le clan Niasse face à la bande Tanor», pouvait-on lire dans le quotidien privé de Dakar Walfadjiri. Le «Bennoo se saborde», a titré pour sa part, le Quotidien. «Bennoo vote Niasse. Tanor prend le maquis», a renchéri Sud Quotidien.
Abdoulaye Wade qui n’en demandait pas tant, buvait du petit lait. Interrogé sur RFM, une radio privée locale, le chef de l’Etat qui avait du mal à cacher sa joie, s’est «refusé à tirer sur une ambulance».
Valentin Hodonou
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