par Un Monde Libre
La publication en juin 2012 de l’annexe au rapport des experts de l’ONU imputant au Rwanda de soutenir militairement et politiquement le groupe armé M23 qui contrôle une partie de l’Est de la RDC, a éveillé chez les Congolais un élan patriotique face à ce qui apparait être, de toute évidence, l’irrédentisme rwandais sur les provinces minières des Kivus. Comme un seul homme, les Congolais de toutes ethnies confondues se sont dressés contre le complot visant le dépiéçage de leur pays. Sous quel prisme faut-il voir cette éclosion de l’anti-partitionnisme ? Est-ce un réflexe fugace devant un danger imminent ?
Ou peut-être l’amorce d’une prise de conscience de l’urgence à opérer une double métamorphose : bâtir un État-nation institutionnellement solide, capable de défendre son intégrité territoriale face aux assauts hégémoniques de ses voisins et, simultanément, marquer une rupture avec le mécanisme actuel de captation-redistribution des rentes minières qui confine plus de 70% de sa population dans une pauvreté absolue.
Classée parmi les 25 pays les plus pauvres au monde, la RDC détient des réserves en ressources naturelles évaluées à plus de 25 000 milliards de dollars. Le hic est que ces ressources n’ont jamais aidé à répondre aux besoins de sa propre population. Cinquante ans d’indolence généralisée, de mégestion, d’incurie institutionnelle et d’absence de vision à long terme de la part de ses leaders d’hier comme d’aujourd’hui, ont fini par rendre ce pays mortellement vulnérable face à la convoitise de ses voisins.
Et, pendant ce temps, qu’observe-t-on du côté de ses assaillants ?
Il ne s’agit pas d’une fiction mais bien d’une réalité : pendant que le géant Congo en situation de crise endémique tourbillonne dans une « révolution de la modernité », le minuscule Rwanda enregistre une croissance soutenue de 6% en moyenne depuis 2001 essentiellement tirée par les minerais de contrebande provenant du sous-sol congolais ! 2020 est l’année butoir fixé par ce pays pour réaliser sa transition vers une économie émergente en orientant la rente générée par l’exportation des « minerais du sang » vers l’investissement dans l’éducation et la santé, socle d’une stratégie de développement fondée sur l’émulation du capital humain.
Aussi dure qu’elle soit, cette réalité se traduit dans les chiffres : en 2011, le Rwanda affichait un IDH de 0,429 avec un revenu par habitant de 1133 US$, la part de budget accordée à l’éducation étant de 4,7% du PIB. Ces valeurs sont de 0,286, 280 US$ et 0,2% respectivement pour le Congo [PNUD, 2012].
N’en déplaise aux Congolais et aux pyrrhoniens, toutes autres choses étant égales par ailleurs, cet avantage comparatif dans l’aptitude à transformer la « disponibilité physique » des ressources en « disponibilité économique » afin d’en faire des atouts pro-croissance marquera à jamais les futurs rapports de force dans les Grands Lacs. Dès lors, l’anti-balkanisation ne saurait être bénéfique au Congo que si elle débouche sur une transformation de la structure institutionnelle en place. Faut-il s’entêter à promouvoir un État centralisateur languissant ou opter pour un État fédéral puissant ?
Le modèle centralisateur actuellement en vigueur a clairement montré ses limites sur plusieurs plans : insécurité généralisée sur l’ensemble du territoire, répartition inégale du revenu national, couverture déficiente des services essentiels à la population. Avec ce modèle, le Congo se reproduit typiquement comme un « État rentier » qui vit et survit grâce à la redistribution clientéliste de la rente issue des minerais, sa finalité étant d’alimenter le pouvoir en place, de perpétuer le système de prédation-corruption-impunité.
On est loin du modèle de l’État développementiste et catalyseur à la Botswana où la rente diamantifère sert à la mobilisation de l’épargne interne et au financement de l’investissement dans les secteurs clés. Au Congo au contraire, la gestion du secteur minier a abouti à « la politique de saucissonnage du portefeuille minier de l’Etat » essentiellement « pour satisfaire les besoins immédiats d’argent des autorités gouvernementales » [Rapport Lutundula, 2005:6]. Des politiciens à Kinshasa qui lobbient logiquement pour un État centralisateur, tout en ne fournissant pas les services de l’État aux citoyens, seront certainement hostiles à un changement de structure. L’émergence d’un État fédéral impliquant pour eux la perte de leur pouvoir sur l’affectation et les rétributions des matières premières des provinces riches.
Le modèle fédéral présente des avantages réels. Il permettrait à la fois de respecter l’idéal d’unité nationale fondée sur la diversité ethnoculturelle mais tout en préservant une conscience nationale. Il ouvrirait la voie à la mise en valeur, au service de toute la nation, des richesses tirées de diversités régionales. Et, du fait des distances, ce modèle serait sans doute le plus efficace pour stimuler des échanges commerciaux interprovinciaux fondés sur les avantages comparatifs. En mettant la démocratie plus près des gens, il favorise la bonne gouvernance, la reddition des comptes.
Toutefois, il faudrait inventer, à l’exemple du Canada, des mécanismes de transfert entre provinces, de telle sorte que les provinces les moins prospères soient à même de fournir à leurs résidents des services publics sensiblement comparables à ceux des provinces les mieux nanties. Cela passe par une union fiscale et budgétaire qui institutionnalisera ces transferts fiscaux via le gouvernement central dont le rôle central est d’imposer l’état de droit sur tout le territoire.
Le revers de la médaille de ce modèle est de craindre que sa mise en place ne puisse paradoxalement mener plus facilement à la balkanisation et que des dictateurs locaux, soudoyés par des intérêts extérieurs puissants (comme au Katanga en 1960), s’installent au pouvoir pour faire session et piller tranquillement les richesses nationales. Étouffer ces appétences dans l’œuf sera ici le grand défi à relever.
Avec la crise Rwanda-M23, le Congo a atteint le point où la transition du mode de partage autocratique extractif vers un mode de partage démocratique inclusif constitue une condition sine qua non pour la protection efficace de son territoire et, implicitement de son existence comme État-nation prospère. La crédibilité de l’anti-partitionnisme sera mesurée à l’aune de l’éveil de la conscience des Congolais pour opérer ce passage.
Classée parmi les 25 pays les plus pauvres au monde, la RDC détient des réserves en ressources naturelles évaluées à plus de 25 000 milliards de dollars. Le hic est que ces ressources n’ont jamais aidé à répondre aux besoins de sa propre population. Cinquante ans d’indolence généralisée, de mégestion, d’incurie institutionnelle et d’absence de vision à long terme de la part de ses leaders d’hier comme d’aujourd’hui, ont fini par rendre ce pays mortellement vulnérable face à la convoitise de ses voisins.
Et, pendant ce temps, qu’observe-t-on du côté de ses assaillants ?
Il ne s’agit pas d’une fiction mais bien d’une réalité : pendant que le géant Congo en situation de crise endémique tourbillonne dans une « révolution de la modernité », le minuscule Rwanda enregistre une croissance soutenue de 6% en moyenne depuis 2001 essentiellement tirée par les minerais de contrebande provenant du sous-sol congolais ! 2020 est l’année butoir fixé par ce pays pour réaliser sa transition vers une économie émergente en orientant la rente générée par l’exportation des « minerais du sang » vers l’investissement dans l’éducation et la santé, socle d’une stratégie de développement fondée sur l’émulation du capital humain.
Aussi dure qu’elle soit, cette réalité se traduit dans les chiffres : en 2011, le Rwanda affichait un IDH de 0,429 avec un revenu par habitant de 1133 US$, la part de budget accordée à l’éducation étant de 4,7% du PIB. Ces valeurs sont de 0,286, 280 US$ et 0,2% respectivement pour le Congo [PNUD, 2012].
N’en déplaise aux Congolais et aux pyrrhoniens, toutes autres choses étant égales par ailleurs, cet avantage comparatif dans l’aptitude à transformer la « disponibilité physique » des ressources en « disponibilité économique » afin d’en faire des atouts pro-croissance marquera à jamais les futurs rapports de force dans les Grands Lacs. Dès lors, l’anti-balkanisation ne saurait être bénéfique au Congo que si elle débouche sur une transformation de la structure institutionnelle en place. Faut-il s’entêter à promouvoir un État centralisateur languissant ou opter pour un État fédéral puissant ?
Le modèle centralisateur actuellement en vigueur a clairement montré ses limites sur plusieurs plans : insécurité généralisée sur l’ensemble du territoire, répartition inégale du revenu national, couverture déficiente des services essentiels à la population. Avec ce modèle, le Congo se reproduit typiquement comme un « État rentier » qui vit et survit grâce à la redistribution clientéliste de la rente issue des minerais, sa finalité étant d’alimenter le pouvoir en place, de perpétuer le système de prédation-corruption-impunité.
On est loin du modèle de l’État développementiste et catalyseur à la Botswana où la rente diamantifère sert à la mobilisation de l’épargne interne et au financement de l’investissement dans les secteurs clés. Au Congo au contraire, la gestion du secteur minier a abouti à « la politique de saucissonnage du portefeuille minier de l’Etat » essentiellement « pour satisfaire les besoins immédiats d’argent des autorités gouvernementales » [Rapport Lutundula, 2005:6]. Des politiciens à Kinshasa qui lobbient logiquement pour un État centralisateur, tout en ne fournissant pas les services de l’État aux citoyens, seront certainement hostiles à un changement de structure. L’émergence d’un État fédéral impliquant pour eux la perte de leur pouvoir sur l’affectation et les rétributions des matières premières des provinces riches.
Le modèle fédéral présente des avantages réels. Il permettrait à la fois de respecter l’idéal d’unité nationale fondée sur la diversité ethnoculturelle mais tout en préservant une conscience nationale. Il ouvrirait la voie à la mise en valeur, au service de toute la nation, des richesses tirées de diversités régionales. Et, du fait des distances, ce modèle serait sans doute le plus efficace pour stimuler des échanges commerciaux interprovinciaux fondés sur les avantages comparatifs. En mettant la démocratie plus près des gens, il favorise la bonne gouvernance, la reddition des comptes.
Toutefois, il faudrait inventer, à l’exemple du Canada, des mécanismes de transfert entre provinces, de telle sorte que les provinces les moins prospères soient à même de fournir à leurs résidents des services publics sensiblement comparables à ceux des provinces les mieux nanties. Cela passe par une union fiscale et budgétaire qui institutionnalisera ces transferts fiscaux via le gouvernement central dont le rôle central est d’imposer l’état de droit sur tout le territoire.
Le revers de la médaille de ce modèle est de craindre que sa mise en place ne puisse paradoxalement mener plus facilement à la balkanisation et que des dictateurs locaux, soudoyés par des intérêts extérieurs puissants (comme au Katanga en 1960), s’installent au pouvoir pour faire session et piller tranquillement les richesses nationales. Étouffer ces appétences dans l’œuf sera ici le grand défi à relever.
Avec la crise Rwanda-M23, le Congo a atteint le point où la transition du mode de partage autocratique extractif vers un mode de partage démocratique inclusif constitue une condition sine qua non pour la protection efficace de son territoire et, implicitement de son existence comme État-nation prospère. La crédibilité de l’anti-partitionnisme sera mesurée à l’aune de l’éveil de la conscience des Congolais pour opérer ce passage.
Remy K. Katshingu est Professeur d’économie au Collège de Saint-Jérôme, Canada.
Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org
© Afrik.com - 2012
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