Après 7 mois de conflits, le président Joseph Kabila a fini par accepter de négocier avec la rébellion du M23. Le président du mouvement rebelle, Jean-Marie Runiga, affirme avoir eu l'assurance de Joseph Kabila d'entamer dès dimanche 25 novembre des négociations à Kampala. Pour négocier quoi ? Voici quelques pistes.
"Négocier avec un groupe rebelle ? Jamais !", avait souvent répondu Joseph Kabila. Mais depuis la chute de Goma, tombée aux mains du M23 mardi 20 novembre et la prise de Sake le lendemain, le président congolais n'avait plus guère le choix. Pour se sortir de l'ornière, Joseph Kabila ne peut plus compter sur son armée, qui n'a (pour le moment) jamais été en mesure d'inquiéter les rebelles puisqu'elle fuit pratiquement sans combattre, ni compter sur les casques bleus (Monusco) qui ont assisté à la prise de Goma… les bras croisés.
"L'obligation" de négocier
Samedi à Kampala, les chefs d'Etat de la région des Grands Lacs ont tenté de trouver une solution au conflit dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Les participants du Sommet ont exigé le retrait des rebelles de Goma sous 2 jours et ont appeler le gouvernement congolais à entamer des négociations avec le M23. Les rebelles avaient prévenu qu'ils ne se retireraient pas de Goma avant d'avoir négocié avec le président Kabila. Tout convergeait donc pour que Jean-Marie Runiga, le président du M23 et Joseph Kabila se retrouvent autour d'une table.
Appliquer les accords du 23 mars
Négocier quoi ? Il est étonnement difficile d'y répondre, tant les revendications du M23 ont évolué depuis la création de la rébellion en avril 2012. Au coeur des discussions, nous trouverons évidemment les fameux accords du 23 mars 2009 (qui ont donné leur nom au M23). Dans ces accords, la rébellion de l'époque, le CNDP (dont sont issus les membres du M23), demandaient l'incorporation des rebelles dans l'armée régulière (FARDC) et l'intégration politique de leur mouvement dans les institutions congolaises. Pour les rebelles, ces deux exigences n'ont été pas été correctement respectés par Kinshasa. Ils accusent notamment le président Kabila d'avoir voulu éloigner ses soldats de leurs fiefs du Kivu et de ne pas avoir maintenu tous les officiers dans leur grade. Concernant le Kivu, le M23 a deux raisons de ne pas s'en éloigner. La première parce que la région est richement pourvue en minerais divers, or, coltan, cassitérite… qui constituent la principale source de financement de leur mouvement. La deuxième raison est ethnique. Le M23 entend défendre la communauté tutsie, souvent réprimée et menacée, notament par la milice hutue des FDLR. Côté politique, l'ex-CNDP, devenu M23, n'a jamais pu avoir accès aux institutions politiques de RDC.
Le cas Ntaganda
A la table des négociations, le M23 évoquera sans doute la situation du général Bosco Ntaganda, inculpé par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Intégré dans l'armée régulière en 2009, Ntaganda a d'abord fait le jeu de Joseph Kabila, en se retournant d'abord contre Laurent Nkunda, le patron du CNDP, en 2009 et ensuite en assurant une forte "victoire" dans les Kivus du candidat Kabila aux élections frauduleuses de novembre 2011. Mal élu, Joseph Kabila a décidé d'arrêter Bosco Ntaganda, en avril 2012, afin de donner de redorer son blason aux yeux de la communauté internationale. La fuite de Ntaganda a donné lieu à la création du M23. Il est donc fort probable que Jean-Marie Runiga veulent protéger Ntaganda de toute tentative d'arrestation.
Chasser Joseph Kabila
Loin de ces revendications "corporatistes", le M23 s'est rapidement doté d'une branche politique, affirmant des ambitions plus grandes. Un "cabinet fantôme" a été créé pour administrer les territoires occupés par la rébellion : le poste-frontière de Bunagana et la ville de Rutshuru. Très vite, le M23 a revendiqué "la vérité des urnes" à propos des élections chaotiques de novembre 2011. Le terme même de "vérité des urnes" provient du candidat malheureux à l'élection présidentielle, Etienne Tshisekedi, qui a toujours contesté la réélection de Joseph Kabila et a même déclaré sa "victoire". Le M23 pourrait-il faire alliance avec Tshisekedi ? Pour l'instant les contacts n'ont rien donné et l'UDPS est très réticente face à cette rébellion dont tout le monde sait que le Rwanda est derrière. Du côté du M23, on affiche aujourd'hui clairement la couleur : la chute du président Kabila. La rébellion en a-t-elle les moyens ? Militairement, pas complètement. Pour aller jusqu'à Kinshasa, les rebelles devront avoir l'aide direct d'un pays tiers. On voit mal, pour le moment, le Rwanda voisin ou l'Ouganda se lancer dans l'invasion de la RDC. Trop risqué diplomatiquement. Selon des observateurs, seule "une révolution de palais" pourrait débarquer le président Kabila.
Que peut lâcher Kabila ?
Difficile à dire, tant la situation militaire est versatile. Tant que le président Kabila n'arrive pas à reprendre la main sur le terrain militaire (et c'est actuellement le cas), il sera dans l'obligation de faire quelques concessions sur l'application des accords du 23 mars (localisation des soldats intégrés dans les Kivus, grades, versements des soldes… ). Au niveau politique, Joseph Kabila pourrait peut-être concéder une intégration politique au niveau provincial du M23 et, pourquoi pas, un poste au gouvernement. On parle également à Kinshasa de la possibilité de former un "gouvernement d'unité nationale" qui permettrait à Joseph Kabila de pratiquer une "ouverture politique" qui lui permettrait toutefois de se maintenir à la présidence. Mais dans le jeu de poker menteur des négociations dans la région des Grands Lacs, seule la situation militaire donnera l'avantage à l'une des deux parties. Pour l'instant, l'avantage militaire tourne au M23, mais depuis samedi, des renforts de l'armée régulière sont annoncées dans la zone, notamment autour de Bukavu, la prochaine cible annoncée des rebelles.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
afrikarabia2.blogs.courrierinternational.com
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