(Congo Libre 11/04/2012)
La Grèce, berceau de la démocratie occidentale et classée
parmi les 30 pays les plus riches du monde jusqu’en 2008, est devenue un pays
des « paresseux », soumis aux mesures d’austérité prônée par la Troïka
(Commission européenne, Banque Centrale Européenne et FMI) bénéficiant des
complicités internes. Imaginons un seul instant que le Congo (RD) notre pays est
passé –et ce n’est pas encore terminé- par les fourches caudines des IFI à deux
reprises ! Cela en plus des deux génocides dont ses filles et fils ont été
l’objet. Quand nous nous auto-flagellons, nous oublions de revisiter notre
histoire et celle des autres peuples victimes des complots internationaux. Nous
oublions que nous sommes un peuple d’avenir.
Depuis un certain temps,
dans un certain élan d’auto-flagellation, certains compatriotes ont repris le
refrain entonné autrefois par des ressortissants d’un pays voisin : « Les
Congolais(es) sont des BMW ». Ils ne s’intéressent qu’à la bière, à l’argent
(maisons, voitures, vêtements chers, etc.) et aux femmes (et/ou aux hommes).
Cette persistance de l’élan d’auto-flagellation est cette fois-ci consécutive
aux espoirs déçus -pour les non-avertis- après les élections des mois de
novembre et décembre 2011. Elle semble mettre entre parenthèse les efforts
déployés par nos populations pour s’approprier ce processus électoral et les
irrégularités, les fraudes et les tricheries qui les ont torpillés. (Même si,
pour les Congolais avertis, s’engager dans un processus dont la maîtrise des
tenants et des aboutissants échappait était une entreprise suicidaire.) Elle met
aussi entre parenthèse le courage de nos martyrs que les escadrons de la mort
soutenant ce processus ont pu faire comme en témoignent différents rapports
rédigés à ce sujet.
Cette permanence d’auto-flagellation oublie gravement que
le Congo vient de loin. Il a à son passif deux génocides, des assassinats ciblés
des leaders politiques et des patriotes et deux impositions des mesures
d’austérité par les IFI. Souvent, il arrive que nous puissions balayer tout ceci
d’un revers de la main en arguant que le Congo (RD) n’est pas le seul pays à
avoir connu cette histoire odieuse. Soit ! N’empêche que nous puissions la
connaître et peut-être en tirer toutes les conséquences.
Sous Léopold II,
en plus de la pratique des mains coupées, notre population a été diminuée
officiellement de plus ou moins 10.000.000 d’habitants. Depuis la guerre
d’agression de 1996, le nombre de tous nos morts avoisineraient à peu prêt ce
chiffre au jour d’aujourd’hui ; il faut compter les victimes directes de cette
guerre permanente et celles collatérales. Entre ces deux génocides, il y a eu
l’assassinat de Patrice-Emery Lumumba et de ses compagnons, de Pierre Mulele, de
Laurent-Désiré Kabila, etc.
Avant que Mobutu ne s’enfonce dans une dictature
pure et dure, en octobre 1973, il a tenu, à l’Assemblée générale des
Nations-Unis, un discours aux accents panafricanistes dont le retentissement
doit avoir fait peur à « ses créateurs ». Même si paradoxalement, il devait
jouer un rôle important dans la guerre de l’impérialisme contre la montée du «
communisme » en Afrique australe.
La dictature de Mobutu a été fragilisée
(entre autres) par l’application des programmes d’ajustement structurel dans
notre pays vers les années 80. Pourquoi ? Parce que « les PAS sont synonymes de
désétatisation, de dérégulation, de privatisation et d’exclusion pour le plus
grand nombre. » (A. TRAORE, Le viol de l’imaginaire, Paris, Fayard, 2001, p. 44)
Ils créent un imbroglio socio-politique où germent l’exode rural, la fuite des
cerveaux et des capitaux, des émeutes, des soulèvements et des guerres. «
L’ajustement structurel est au corps social ce que le virus de sida est au corps
humain : il le fragilise par des réformes économiques inopportunes à tel point
que des défaillances qu’il aurait dû être en mesure de gérer prennent des
dimensions dramatiques, d’autant plus que les solutions prônées sont externes. »
(Ibidem) Les coupes budgétaires dans les domaines tels que la fonction publique,
l’éducation et la santé fragilisent davantage le corps social ; elles ne
permettent pas aux citoyens d’exercer, à bon escient, leurs droits
socio-économiques et culturels.
Mobutu tombe malade et « ses créateurs » et
acteurs majeurs dans les IFI estiment qu’ils doivent changer de « nègres de
service ». La guerre de prédation et d’agression de 1996 s’inscrit (aussi) dans
cette quête de changement de « marionnettes ». Laurent-Désiré Kabila, mis à la
tête du pays par « les ex-créateurs de Mobutu » avec la complicité de Kagame et
Museveni, tentera, avant le retournement des alliances avec Kigali, une approche
(théorique) autocentrée du développement intégral de l’homme et de la femme
congolaise. Il précise son orientation lors de la Conférence nationale sur la
reconstruction en septembre 1997. Pour lui, « il faut adapter les activités
économiques aux besoins de la population, faire du village et des petites
collectivités la base d’un développement endogène. » (C. BRAECKMAN, Les nouveaux
prédateurs. Politiques des puissances en Afrique centrale, Paris, Fayard,
2003,p. 60) Dans la présentation de son plan triennal, il note : « Le
gouvernement ne pourra laisser entre les mains des seuls privés, des seuls
financiers, des secteurs entiers de l’économie (…). L’homme congolais libéré de
la servitude néocoloniale fera sa propre histoire, il se réappropriera comme
seul maître sa propre destinée, étant lui-même à l’origine de son projet de
développement, au centre de sa réalisation (…). » (Ibidem) Retrouvant les
accents panafricanistes de ses prédécesseurs, Mzee concluait ainsi son texte : «
Le Congo devra prendra la tête du développement économique en Afrique centrale,
ce qui nous permettra de créer les impulsions nouvelles pour la redynamisation
du panafricanisme. » (Ibidem)
Pour rappel, L.-D. Kabila a pu gouverner notre
pays pendant deux ans sans recevoir un seul sous des IFI ; il s’en est sorti
tant bien que mal. Mais ses alliances stratégiques (contre nature) l’ont conduit
à l’assassinat dont Kagame est accusé d’être l’exécuteur. (Cfr Théogène
Rudasimgwa à Bruxelles le 31 mars 2012)
L’usurpation du pouvoir (os) à la
tête de notre pays par « Joseph Kabila » en 2001 (avec la complicité interne des
« nouveaux prédateurs ») va refaire de notre pays la proie facile des IFI et du
néolibéralisme.
Pour une deuxième bonne fois, le FMI va nous imposer, sous
Gizenga et Muzito, les mesures d’austérité dénommées IPPTE (Initiative pour les
Pays Pauvres Très Endettés) comme moyen de perpétrer le désengagement de l’Etat,
la privatisation des services et la paupérisation en masse. Initiée en 1996 à
Lyon au sommet du G7, cette initiative « consiste en des rééchelonnements
successifs de la dette pour les pays ayant réalisé de façon durable de « bonnes
performances » selon les IFI. » (p.46) Comme les PAS, l’IPPTE exige une
diminution drastique des dépenses publiques aux dépens des domaines tels que la
santé, l’éducation, la fonction publique, l’habitat, etc. La paupérisation en
masse qu’elle génère affecte l’individu et la société ainsi que les liens
sociaux : les liens de solidarité se relâchent, l’atomisation sociale profite
aux îlots de prospérité instrumentalisant la tribu et l’ethnie.
Si nous
estimons que le Congo (RD) est un miracle, c’est parce qu’il a survécu à toutes
ces mesures d’austérité et à deux génocides. Le Congo a survécu deux fois à ce
qui est fait aujourd’hui une seule fois à la Grèce, au Portugal, à l’Espagne et
à l’Italie ! Il en porte les marques. Comme les populations de ces pays
occidentaux, nous sommes, nous aussi, tiraillés entre le calvaire et la
résistance. Peut-être à cette différence-ci que ce qui nous sert de classe
politique et d’une certaine élite intellectuelle au pays (à l’exception des amis
de Victor Nzuzi) n’a pas encore abordé ces questions de fond au point de créer
des débats populaires là-dessus. Au cours de la campagne électorale de novembre
et décembre 2012, la question de notre rapport aux institutions financières
internationales (IFI) a été éludée. Elle semble avoir été absente de presque
tous les projets de société des candidats à la présidentielle au nom de la foi
en la nébuleuse dénommé « communauté internationale ». Néanmoins, petit à petit,
les Congolais(es), surtout ceux et celles de la diaspora commencent à identifier
« les véritables baloki ya Congo ». Et ils auront intérêt à s’inspirer des
luttes que les résistants et « les indignés » de tous ces pays occidentaux
mènent pour briser le joug des banquiers et des « financiers ». L’Amérique
Latine les a devancés et aujourd’hui, le Front de la gauche française de
Jean-Luc Mélenchon s’en inspire pour sortir son pays du piège de la
Troïka.
Chez nous, briser le joug des IFI passera par l’audit de la dette
extérieure de notre pays depuis Mobutu jusqu’à ce jour. Cela passera aussi par
le développement autocentré faisant de nos villages et de nos collectivités les
centres prioritaires de nos intérêts. Mais aussi par notre ancrage sage et
intelligent dans un monde polycentré où les banques du Sud sont sur le point de
disqualifier les IFI.
Oui. Nous sommes un peuple normal, avec nos qualités et
nos défauts, avec une histoire dominée par la pensée hégémonique, impérialiste
et néolibérale ; un peuple qui a survécu à deux génocides et à deux programmes
d’ajustement structurel. Un peuple de l’avenir. Notre progéniture le sait
intuitivement.
J.-P. Mbelu
© Copyright Congo
Libre
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